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toutes les régions habitées ou inhabitées, c’est ce qu’on pouvait remarquer l’an dernier au fond de l’Australie du sud. Là, au milieu de ces pauvres émigrans tout absorbés dans leur rude industrie, occupés à défricher leurs terres, à parcourir leurs pâturages ou à abattre leurs bestiaux, il s’était trouvé une gazette et quelques journalistes pour prêcher l’idéocratie, pour publier des articles sur l’état, le droit de la révolution, la responsabilité de tous en tout, etc. Nous ne sommes point malheureusement en mesure de raconter les suites de cette expérience, la mieux adaptée, on en conviendra, aux conditions morales et matérielles de l’Australie ! — Ou bien c’est le socialisme prospérant et florissant au cœur de l’Amérique du Sud : oui, le socialisme entre les Andes et l’Océan Pacifique, dans le voisinage du Chimborazo et de l’Illimani, le rougisme, — el rojismo, — comme l’appellent les polémistes de ces contrées ; le droit au travail invoqué, la solidarité proclamée, les clubs disciplinés, les artisans dégrossis et dressés à la pantomime oratoire, le prolétaire érigé en sauveur, la vieille société vouée aux dieux infernaux ! Le Chili et la Nouvelle-Grenade sont surtout, à divers degrés, le théâtre de cette invasion récente. Bizarre prolongement des révolutions européennes ! puéril et absurde écho des problèmes qui nous oppressent, des luttes qui nous dévorent et nous rejettent sans cesse d’une extrémité à l’autre, — comme si l’Amérique du Sud n’avait point par elle-même une expérience suffisante de toutes les alternatives révolutionnaires ! « Qu’avons-nous à apprendre ? dit avec une sorte d’ironique éloquence un des plus remarquables observateurs de cette situation, Américain lui-même ? ne sommes-nous pas maîtres et docteurs dans l’art de la révolte et de l’oppression ? Nous empruntons aux démagogues français leur liberté illimitée : n’avons-nous pas joui durant quarante années de la liberté illimitée de nous tuer les uns les autres, de renverser des lois et des gouvernemens ?… De toutes ces choses, nous en avons surabondamment parmi nous, nous en sommes excédés. S’il y avait une exposition universelle d’anarchie et de despotisme, ce que nous pourrions offrir en ce genre ne tiendrait pas dans un monument mille fois plus grand que celui de Hyde-Pack. Nous pourrions envoyer des libérateurs assassinés, des présidens et des représentans égorgés, des matrones respectables flagellées, des femmes deux fois frappées à mort, — en elles-mêmes et dans l’enfant qu’elles portaient dans leur sein, — des révolutions, des émeutes et des pronunciamientos à remplir les navires de plus haut bord… » Il faut aller au fond des choses. Quelle est la portée véritable de cette action des idées démocratiques européennes dans l’Amérique du Sud ? quel est leur rapport avec l’état réel de ces jeunes pays ? Quelle est la part légitime des influences de l’Europe dans le problème des destinées morales et matérielles de cet immense et merveilleux