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dire, de nos doctrines révolutionnaires les plus quintessenciées. En 1850, il écrivait les Bulletins de l’Esprit, — Boletines del Espiritu, — sur le mode lyrique des Paroles d’un Croyant et des Bulletins de la république. Ses compatriotes l’appellent le Lamennais de l’Amérique ; il en pourrait être aussi bien et tout ensemble le Louis Blanc, le Pierre Leroux, le Mazzini, le Struve. Ce n’est pas trop de tous les siboleth démocratiques pour implanter l’unité et la solidarité au pied des Andes. Le premier rôle revenait évidemment à M. Bilbao dans l’intermède socialiste du Chili : c’est lui qui a été l’ame, le héros de la Société de l’Égalité et de ses promenades patriotiques. Le succès de ce jeune énergumène a été de faire un moment du socialisme l’objet de la curiosité publique, de la conversation générale, — quelque chose comme un combat de coqs ou une course de taureaux, — dans une ville comme Santiago, où il n’y a ni industrie, ni commerce, ni entrée ou sortie de vaisseaux, ni théâtres même qui dispensent d’aller chercher la comédie dans la rue. — Le malheur du socialisme chilien, c’est de ne s’être point contenté de ses prédications ou de ses exhibitions, et d’avoir voulu trop tôt devenir quelque chose de plus palpable et de plus réel. Le socialisme a fait des balles et des cartouches ; il a commencé un jour, à Santiago, par aller cracher fraternellement à la figure du gouverneur. Dans la province voisine d’Aconcagua, à San-Felipe, il usait du poignard contre l’intendant : il s’est heurté, en un mot, contre la réalité. Le socialisme était-il autre chose qu’une ombre, — ombre à la fois meurtrière et grotesque ? Toujours est-il qu’il s’est évanoui dès que le gouvernement a marché sur lui. La décoration est tombée : la Société de l’Égalité a disparu, les héros de la démocratie chilienne ont été dispersés, et M. Francisco Bilbao lui-même, hélas ! a dû transporter au Pérou sa propagande.

Première défaite ; voici la seconde. Le socialisme chilien, selon les saines traditions, est de droit divin ; il est supérieur au suffrage national, à la volonté publique. Il y a quelques mois, en 1851, la volonté publique avait à s’exprimer, à élire un président. Et qui élevait-elle justement au pouvoir ? L’homme le plus antipathique à cette turbulente démagogie, — M. Manuel Montt, — esprit pratique et ferme, très dédaigneux de la popularité vulgaire, et dont la politique consiste à s’occuper bien moins de théories et de systèmes que du développement des intérêts réels, entre lesquels il place au premier rang le bienfait moralisateur de l’éducation. La nouveauté de cette élection, c’est d’être allée chercher un personnage de la vie civile. C’était l’heure que le socialisme choisissait pour courir aux armes. Un chef militaire, le général Cruz, enlevait quelques soldats et allait vers le sud recruter ces fiers Indiens de l’Arauco, chantés autrefois par Ercilla dans l’Araucana, successivement refoulés dans le désert, mais non soumis encore : force