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exprès pour servir de décoration aux partis révolutionnaires. Le général Lopez est l’instrument des clubs de Bogota et de quelques familiers dont le ministre des finances, M. Manuel Murillo, paraît être aujourd’hui le plus habile. L’origine de ce singulier pouvoir est des plus caractéristiques. La Nouvelle-Grenade, on le sait, est une des trois républiques issues de l’ancienne Colombie, qui comprenait en même temps le Venezuela et l’Équateur. La guerre civile a été assez souvent son état normal après sa séparation ; en 1839, 1840 et 1841 notamment, elle plongeait le pays dans la dévastation et dans le sang. Le promoteur et le chef de cette guerre civile était le général Obando, l’un des personnages accrédités aujourd’hui et l’un des candidats à la prochaine élection présidentielle. Cette insurrection vaincue, trois administrations conservatrices se sont succédé, — celle du docteur Marquez, celle du général Pedro Alcantara Herran, et la présidence du général Mosquera, qui expirait en 1849. Qu’on se reporte à cette année 1849 : les esprits s’enflammaient chaque jour au récit de la révolution de France ; le parti insurgé de 1840, successivement amnistié dans ses chefs et dans ses soldats, se relevait de sa défaite, servi par l’invisible courant des influences européennes ; il choisissait habilement pour candidat un homme qui n’avait point trempé dans la guerre civile, le général Lopez. Le jour où le congrès, — chambre des députés et sénat réunis, — devait ouvrir le scrutin et proclamer l’élu, des bandes armées envahissaient la salle ; les séides révolutionnaires agitaient le poignard contre les sénateurs et les députés conservateurs ; une scène de meurtre devenait imminente ; le général Hilario Lopez était ainsi nommé président de la Nouvelle-Grenade le 7 mars 1849 ! Voilà la source épurée d’où est sorti ce pouvoir qui a entrepris de réaliser la vraie république, la vraie démocratie, et de fonder la cité humanitaire des utopistes du vieux monde. Principes, procédés de gouvernement, langage, tout est identique. « La Nouvelle-Grenade s’est sentie agitée par le galvanisme politique et social de l’époque… La liberté avance, la vieille citadelle des restrictions tombe en ruines. Les escadrons mis en pièces, qui défendaient la cause ultramontaine, comprennent leur déroute et désertent le champ de bataille. Il est impossible d’arrêter le mouvement pacifiquement révolutionnaire qui a surgi des profondes commotions de l’esprit humain au XIXe siècle… Le 7 mars 1849 a été le Te Deum entonné par la démocratie devant le Dieu de la civilisation… » Qui parle ainsi ? Ce n’est rien moins que la Gazette officielle de la Nouvelle-Grenade, le Moniteur de Bogota. Chose d’un prix rare assurément que de voir ainsi prendre corps sur ce sol vierge et devenir des gouvernemens les rêves, les cauchemars, les ombres de systèmes et les fantômes dont nos intelligences byzantines se plaisent parfois à se faire un amusement qui les corrompt et un tourment qui les dégrade !