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goths ni des libéraux ; ils font leur métier, ils mettent à profit le désarmement volontaire de l’autorité publique et la déchéance officielle infligée aux lois morales. Ils font des sociétés d’assurances mutuelles pour suffire aux cautions légales, garanties de leur liberté, et pour ajourner leur jugement en commettant quelque nouveau crime, comme on l’a vu. La démocratie grenadine a imaginé d’emprunter à l’Europe un élément de progrès dans les idées socialistes ; elle ajoute l’anarchie du vieux monde à l’anarchie du nouveau ; elle réunit sur le même sol la barbarie née de l’excès de la civilisation et la barbarie des sociétés naissantes. Quels peuvent être les fruits de ce monstrueux assemblage, si le socialisme venait à être autre chose qu’une fantaisie de quelques cervelles mal réglées ? M. Félix Frias le pressent avec une saisissante sagacité. « Le jour où les idées rouges pénétreraient réellement dans nos masses, dit-il, serait le jour d’une conquête nouvelle de l’Amérique du Sud par les Indiens vaincus autrefois. Ceux-ci seraient alors assez forts pour dépouiller les spoliateurs et les surprendre victorieux dans les orgies de leurs rapts et de leurs violences… »

Ce n’est point, au surplus, sans résistance que la contagion socialiste a envahi la Nouvelle-Grenade. Ceux que la Gazette officielle appelle les goths, et qui sont réellement le parti conservateur, modéré, sagement libéral, ont essayé de lutter. Une opposition vigoureuse s’est élevée ; bannie des chambres, elle s’est réfugiée dans la presse ; elle a organisé des associations. À côté de l’école républicaine de Bogota, il se formait une autre réunion sous le nom de sociedad filotémica, asile de la jeunesse conservatrice. Des journaux d’une vivacité et d’une habileté singulières, — le Dia, la Civilizacion, le Porvenir, la Republica, — harcelaient chaque jour les nouveaux dominateurs par leurs polémiques. Un des plus remarquables esprits de la Nouvelle-Grenade, le docteur Julio Arboleda, dressait dans le Misoforo le plus virulent acte d’accusation contre le général Lopez. Ce n’est point le talent qui manque à cette opposition et à ces journaux, c’est le point d’appui dans un pays où les opinions et les intérêts sont trop peu dessinés pour devenir une force disciplinée et compacte, et pour qu’il n’y ait point toujours quelque chose de factice dans l’action des partis. Ce qui paralyse aussi l’influence de cette opposition, c’est ce qui fait la mort de tous les partis conservateurs, — l’absence de cohésion, la division, qui a déjà favorisé l’avènement au pouvoir du général Lopez en 1849. Maintenant, quelle est la situation politique de la Nouvelle-Grenade ? Une insurrection a éclaté en 1851. Le mouvement est né d’abord à Antioquia et s’est étendu de là aux provinces environnantes du Cauca, de Buenaventura, de Popayan, qui embrassent la portion méridionale de la république ; il avait à sa fête le général Eusebio Borrero et quelques colonels de l’armée grenadine. Ce soulèvement avait pour but de secouer