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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/680

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en négligeant cette précaution vulgaire, leur a donné un caractère ridicule.

Je crois donc sincèrement que l’école réaliste qu’a voulu fonder l’auteur des Demoiselles de village ne ralliera pas des disciples nombreux. Non-seulement ces jeunes filles sont laides, mais elles sont dessinées sans précision. Les vêtemens mal choisis ne laissent pas deviner assez clairement la forme du corps. Ainsi l’indécision s’ajoute à la laideur, et je concevrais difficilement que l’exemple de M. Courbet fût suivi par la génération nouvelle. L’engouement qu’il a excité l’année dernière s’attiédit heureusement cette année ; le bon sens et le bon goût reprennent le dessus, et le réalisme tant vanté des Casseurs de cailloux est réduit à sa juste valeur. Pour ma part, je m’en réjouis, car les éloges prodigués à M. Courbet pouvaient à bon droit passer pour une injure adressée à tous les esprits laborieux qui n’ont jamais séparé l’imitation de la nature de la beauté idéale. Du moment que l’imitation littérale, prosaïque, vulgaire, était acceptée comme le dernier mot de l’art, du moment que l’imagination était proscrite comme un hors-d’œuvre, comme un luxe futile, les hommes qui se rattachent sinon par leurs œuvres, du moins par leurs doctrines et leurs efforts ; aux traditions de la renaissance, devaient se croire méconnus et bafoués. L’heure de la réparation me semble aujourd’hui arrivée. M. Courbet reprend la place qu’il n’aurait pas dû quitter ; il est rangé parmi les imitateurs qui n’ont jamais entrevu la vraie mission de l’art. Quant à ceux qui rêvent et poursuivent la beauté, ils reprennent le rang qui leur appartient. Ils le dominent de toute la hauteur qui sépare l’idéal de la réalité. Que M. Courbet profite de cet avertissement, et peut-être sera-t-il un jour admis parmi les peintres.

Je regrette que M. Horace Vernet ait conçu et rendu le Siége de Rome dans les mêmes conditions que la Prise de la Smala. Je professe en toute occasion le plus grand respect pour l’exactitude, je suis toujours disposé à traiter avec les plus grands égards ceux qui s’entourent de documens authentiques avant d’essayer le récit ou la représentation d’un fait. Cependant, je l’avouerai sans détour, je ne comprends guère les tableaux composés exclusivement d’après les données fournies par l’état-major. Il est probable que M. Vernet n’a rien négligé pour connaître les élémens réels du sujet qu’il avait à traiter. J’incline à penser que les officiers présens à l’action trouveront dans le tableau de M. Vernet la transcription littérale de leurs souvenirs. C’est là sans doute un mérite très positif ; est-ce un mérite qui relève de la peinture ? Je ne le pense pas. L’exactitude la plus scrupuleuse n’a rien à démêler avec la composition d’un tableau. Qu’importe en effet que l’aide-de-camp du général Oudinot ou du général Vaillant reconnaisse sur le tableau de M. Vernet ce qu’il a vu de ses yeux au milieu de l’action ?