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Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 14.djvu/684

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pour la fidélité. M. Delaroche n’eût jamais donné aux membres du grand serment de Bruxelles ces physionomies où l’excès de la santé lutte si malheureusement avec une tristesse officielle. Il eût compris la nécessité de sacrifier une part de la réalité pour atteindre à l’émotion. M. Gallait a circonscrit sa tâche dans des limites infiniment plus étroites ; il a copié ce qu’il voyait et n’a rien rêvé, rien tenté au-delà. Si la peinture n’était destinée qu’à reproduire la nature, je m’associerais de grand cœur aux applaudissemens qu’il a recueillis ; mais je crois, avec tous les maîtres qui ont laissé de leur passage une trace lumineuse, que l’art doit se proposer un but plus élevé. L’école italienne, l’école espagnole, l’école flamande elle-même nous enseignent cette croyance. Rubens, qui semble au premier aspect purement réaliste si on le compare à Raphaël, à Murillo, Rubens idéalise la nature à sa manière. La Descente de Croix placée dans la cathédrale d’Anvers relève de l’imagination aussi bien que de l’imitation. S’il a trouvé parmi les femmes de Bruges le type de ses naïades, il a su l’enrichir par son génie. M. Gallait conçoit et achève les tableaux comme un homme chez qui la doctrine de l’idéal n’a jamais rencontré que le dédain ou l’incrédulité. Les derniers Honneurs rendus aux comtes d’Egmont et de Horn sont l’œuvre d’un imitateur habile, mais d’un esprit peu familiarisé avec la réflexion. C’est pourquoi je pense que le succès de cette toile ne sera pas de longue durée. L’admiration ne tardera pas à s’attiédir. Les armes, les casques, les étoffes, quelle que soit l’habileté du peintre, ne suffisent pas pour composer un tableau, et surtout un tableau du genre héroïque : il faut avant tout une pensée, et, comme M. Gallait a négligé cette condition élémentaire, je ne m’étonne pas que le spectateur demeure froid en présence de son tableau. Il étudie avec plaisir les détails de l’exécution, et cette étude est d’autant plus facile qu’elle n’est pas troublée par l’émotion. Il ne pense ni au comte d’Egmont ni au duc d’Albe : il ne voit devant lui que deux cadavres fidèlement imités et des curieux qui les contemplent. C’est là un succès que je ne veux pas contester à M. Gallait, mais je ne crois pas qu’un peintre épris de son art doive s’en contenter.

Parmi les trois tableaux envoyés par M. Meissonier, il y en a deux qui répondent victorieusement à tous les reproches qu’avait mérités le talent de ce peintre ingénieux. Tous ceux en effet qui admiraient son adresse singulière s’affligeaient à bon droit de ne pas trouver dans sa manière plus de largeur et de souplesse. Un Homme choisissant une épée et les deux Bravi nous prouvent aujourd’hui que M. Meissonier peut, quand il le veut, lutter de souplesse et de largeur avec les maîtres les plus habiles de l’école hollandaise. Un Homme choisissant une épée est à mon avis le meilleur tableau que l’auteur nous ait jamais donné. La pantomime est d’une vérité saisissante, et toutes les parties