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choses, aurait-il donc été plus fort, s’il avait justifié d’avance toutes ces accusations et dépassé les plus calomnieuses prévisions de ses ennemis ? Lorsque MM. de Bonald et de Maistre combinaient à priori l’organisation des sociétés humaines sur un idéal religieux ou un type philosophique, et que M. de Montlosier écrasait la démocratie moderne sous ses souvenirs d’historien et ses mépris de gentilhomme, il y avait au fond de leurs plus inapplicables théories quelque chose de fort et de sincère ; mais quand, trente ans après, des écrivains, qui ne peuvent arguer ni de leur persistance ni de leur naïveté, proclament des principes tout nouveaux pour eux et prétendent plier les faits aux plus mobiles caprices de leur fantaisie, on ne peut contempler de sang-froid, dans leur intolérance toujours furieuse, le paroxysme du pouvoir comme en Russie succédant tout à coup au paroxysme de la liberté comme en Belgique.

Louis XVIII n’était pas plus en mesure de continuer l’empire que de rétablir l’ancien régime. En 1814, l’empire n’était qu’un homme, et cet homme ne représentait plus que la guerre aux yeux de l’Europe. Le mécanisme constitutionnel de Sieyès, transformé par les sénatus-consultes organiques, n’avait reçu que de fort rares applications : dès son origine, la coalition européenne avait investi l’empire de la dictature presque aussi complètement que la convention, et la constitution de l’an VIII avait eu la destinée de celle de 1793. Il ne restait debout à la chute de Napoléon qu’un sénat affaibli par ses longues complaisances et qu’une armée mal disposée pour la royauté nouvelle, dont l’avènement semblait sanctionner sa défaite. Aucune des traditions des quinze dernières années ne pouvait être appliquée par le gouvernement royal, car le point de vue de l’opinion avait changé par une transformation qui, pour être soudaine, n’était pas moins profonde. Si, à la veille de la restauration, on ne songeait guère à la liberté politique, les classes moyennes tout entières y aspiraient instinctivement le lendemain pour résister aux prétentions qui leur semblaient le cortége obligé de la dynastie. C’est l’étrange destinée de la maison de Bourbon de rendre à son pays le goût de la liberté par les susceptibilités mêmes qu’elle excite, et d’amener les plus humbles natures à se redresser jusqu’à la faction. Le sens politique le plus vulgaire prescrivait à Louis XVIII de devancer le mouvement de l’opinion, en donnant spontanément à la France les garanties qu’elle ne pouvait manquer de réclamer bientôt. Imprimer l’impulsion pour ne la point subir, rallier sur un terrain neutre deux nations presque étrangères l’une à l’autre, tel était le double devoir auquel il satisfaisait en constituant la monarchie parlementaire. Il ouvrait ainsi devant la pensée publique de nouvelles et larges perspectives, et se défendait contre les glorieux souvenirs du régime précédent avec les seules armes dont il lui fût donné d’user. La promulgation de la charte semblait jeter un abîme entre l’empire et