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et qui est plutôt le fruit d’une imitation étrangère. La véritable origine morale de l’indépendance nouvelle de la Belgique, c’est l’alliance de la liberté et du catholicisme. Cette alliance, maintenue avec soin, a contribué, dans les premières années, à consolider la nationalité belge ; elle lui a fait traverser les plus rudes momens. Le danger est venu avec les partis exclusifs, qui n’ont point tenu compte de cette situation. Nous ne serions pas surpris que les circonstances où se trouve aujourd’hui l’Europe ne contribuassent à ramener la Belgique à des conditions plus justes et plus normales. Le sentiment exprimé par M. de Decker est bien loin, en effet, d’être un sentiment isolé. Le mérite de la brochure de cet homme distingué, c’est de répondre à une disposition très actuelle de l’opinion publique, qui tend manifestement à se prononcer contre le cabinet libéral. Tout annonce que les catholiques gagneront du terrain dans les élections prochaines ; ils n’auront point peut-être la majorité, mais ils l’auraient à coup sûr dans des chambres renouvelées, si on les appelait au pouvoir, — ce que le roi ne fera point, parce qu’il les considère, assure-t-on, comme étant plus sages, plus modérés que les libéraux, et par suite moins dangereux dans l’opposition. Le roi Léopold pourra bien laisser faire pour le moment - en vrai souverain constitutionnel, et l’existence du cabinet actuel restera à la merci d’une coalition possible, pour ne point dire probable, entre les catholiques et les libéraux modérés. Ce semait là, au surplus, une situation qui ne serait point nouvelle. Quel que soit le dénoûment que pourront précipiter ou retarder les élections qui vont avoir lieu en Belgique, ce qu’il y avait à constater, c’est que le cabinet de M. Rogier ne réunit pas autant d’élémens de force et de durée qu’il le croit peut-être. Le traité avec la France sera très probablement une épreuve décisive pour lui, car, s’il n’avait point cette satisfaction à donner à l’industrie linière, il aurait subitement contre lui la coalition du parti catholique et des intérêts lésés. On voit à combien d’écueils peut venir se heurter la fortune du cabinet libéral de Bruxelles.

En Angleterre, le cabinet de lord Derby marchait de victoire en victoire, lorsqu’il est venu se heurter contre un vote inattendu sur une question bien moins importante que le bill de la milice. M. Disraëli, qui est un personnage littéraire, aura eu, dans ces derniers jours, l’occasion de s’assurer de la vérité des boutades de Pascal sur le nez de Cléopâtre. Tout marchait au gré des désirs du ministère tory. Après avoir battu lord John Russell et les whigs, il venait de battre M. Cobden et les libres échangistes sur la question du bill de la milice. Ne pouvant se venger sur le free tracte, ainsi qu’il le reconnaissait lui-même, des défaites de son parti, M. Disraëli se vengeait de ces défaites sur le congrès de la paix. Le terrible M. Loche King, qui l’an dernier avait fait essuyer un échec au cabinet de lord John Russell, avait vu rejeter cette même motion en faveur de la réforme électorale que les communes avaient prise en considération il y a à peu près un an. M. Disraëli, en exposant son projet de budget et en se faisant applaudir de tous les partis, semblait avoir consolidé encore cet accord singulier de la chambre des communes et du ministère, lorsque, sur la question très ordinaire des sièges vacans pour Sudbury et Saint-Albans, M. Gladstone est venu effacer tous ces anciens triomphes et mettre le ministère en demeure de dissoudre les communes. Le vote provoqué par M. Gladstone s’explique peut-être par la supposition que le ministère pourrait