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LA CHANSON DE ROLAND.

Puis l’empereur assemble ses évêques. « En ma maison, dit-il, une noble captive a tant appris par sermons, par exemples, qu’elle veut croire en Dieu ; baptisez-la. » C’est la reine d’Espagne ; ils la baptisent sous le nom de Julienne ; elle devient chrétienne, et du fond de son cœur.

Le jour s’en va, la nuit couvre la terre, l’ange connu de Charles, saint Gabriel, descend à son chevet, et lui dit de la part de Dieu : « À la cité que les païens assiégent, Charles, il te faut marcher ! les chrétiens à grands cris te réclament. »

Et l’empereur s’écrie : « Quel labeur est ma vie ! »

Ici finit l’histoire que Théroulde a chantée.


III.

Maintenant nous pouvons parler de la chanson de Roland. Le lecteur la connaît, bien imparfaitement sans doute, mais assez pour en saisir les traits et les contours principaux, assez pour n’être pas surpris si nous donnons à ce poème une place à part et hors ligne parmi les productions jusqu’ici connues de notre poésie du moyen-âge. Nous ferons la part aussi large qu’on voudra à l’imperfection, à la rudesse de la forme, à l’impuissance d’un langage encore inculte, sans souplesse et sans ampleur, il n’en sera pas moins vrai que la grandeur du dessin, la vérité de la couleur, la force de l’émotion, la profondeur des sentimens donnent à la chanson de Roland des rapports d’étroite parenté avec les rares chefs-d’œuvre de cette poésie épique qui fait le juste orgueil de quelques nations, et dont trop aisément peut-être la France s’est laissé dire que Dieu l’avait déshéritée.

Commençons par comparer notre poème avec ses frères du moyen-âge, puis nous le mettrons en face de plus redoutables rivaux.

Ce qui le distingue en premier lieu de tout ce qu’ont produit, à notre connaissance, nos trouvères, nos troubadours et tous les poètes du nord et du midi de l’Europe jusqu’au jour où Dante est apparu, c’est l’unité de composition. Cette unité est complète, le lecteur vient d’en juger. Sans doute après la mort de Roland, après les honneurs funèbres rendus à sa mémoire, mieux vaudrait que le poème prît fin : ce qui vient ensuite, tout en servant de complément direct à l’action, ne lui appartient pas essentiellement ; mais si cette dernière partie, dont nous n’avons donné que la substance, est hors de proportion avec le reste du poème, n’est-il pas permis de supposer qu’elle était moins développée dans la composition primitive, et que le manuscrit d’Oxford peut, sur ce point, être lui-même légitimement soupçonné d’additions et de remaniemens ? Après tout, dans un de nos chefs-d’œuvre dramatiques, dans l’Horace de Corneille, le cinquième acte, ce hors-d’œuvre qu’on peut impunément supprimer, ne détruit