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du Sénégal seulement. Sur ces 800,000, on compte 79,000 hommes[1] armés de fusils. Or, comme nos forces militaires mobilisables du Sénégal ne montent guère qu’à 300 soldats et artilleurs, à une cinquantaine de spahis et à trois petits navires à vapeur, on comprend que le gouverneur de ces possessions, s’il veut y dominer par influence, c’est-à-dire se borner seulement à empêcher les exactions que ces peuplades demi-sauvages sont toujours disposées à commettre, on comprend, disons-nous, que ce gouverneur doit passer presque tout son temps sur son cheval ou son steamer, malgré la chaleur et les fièvres. Il doit même pratiquer souvent à l’égard de ces nombreuses peuplades la fameuse maxime : « Diviser pour régner. » Aussi est-ce un rude apprentissage pour un gouverneur préoccupé de sa tâche que l’administration de cette colonie. M. Jubelin, ancien sous-secrétaire d’état de la marine, qui a gouverné successivement le Sénégal, la Guyane et la Guadeloupe, raconte souvent que c’est au Sénégal qu’il a fait le plus de cheveux blancs.

La colonie du Sénégal n’étant pas une colonie à culture, et l’esclavage n’y ayant eu, avant 1848, que le caractère de domesticité, de captivité assez douce, on comprend que l’émancipation n’y ait produit aucune interruption dans le mouvement commercial de la colonie. Seulement les bénéfices s’y sont déplacés : ainsi tel captif qui était loué jadis comme matelot ou comme artisan par son maître à tel négociant dispose seul de sa personne aujourd’hui, et garde tout entier le salaire mensuel dont il remettait jadis la moitié à ce maître. Celui-ci, bien peu indemnisé par la métropole, regrette fort le temps passé, et on le conçoit ; mais, au point de vue général de la production du pays, il n’y a pas là perturbation, il n’y a que déplacement dans les fonds de roulement de la colonie. Quant aux captifs de case, ils n’ont guère quitté le domicile de leurs anciens maîtres, dont la douceur était d’ailleurs proverbiale. Puis l’aristocratie de la peau, si vivace encore dans nos colonies à sucre, n’existe pour ainsi dire pas au Sénégal : le blanc y serre la main aussi volontiers au mulâtre qu’au noir. Pendant que nous étions gouverneur de cette colonie, nous avons cherché à nous rendre compte de cette différence si marquée entre les mœurs sénégalaises et les mœurs créoles. Après avoir interrogé les annales du passé, il nous a semblé que ce contraste devait provenir principalement

  1. Voici les noms des peuplades armées :
    fusils
    Cayor 30,000
    Fouta 30,000
    Trarzas 12,000
    Bracknas 5,000
    Wallo 2,000
    Total 79,000