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des ressources matérielles des contrées que laissaient derrière elles ses armées actives. Le second des systèmes colonisateurs est celui qui eut pour cause première l’exubérance de populations trop à l’étroit chez elles. Par la force irrésistible des choses, ces populations émigraient dans des pays plus étendus et moins peuplés. Telles furent les colonies grecques, lorsque les races de l’Archipel se dirigèrent de leur sol natal sur les rives de la Sicile, de l’Italie, de l’Asie-Mineure, où elles transportèrent les connaissances agricoles, commerciales et même les arts de leur mère-patrie. Le troisième système de colonisation, fondé sur la prépondérance maritime et commerciale, fut, dans l’origine, pratiqué surtout par la race phénicienne. Ce peuple, essentiellement navigateur et commerçant, fut des premiers à comprendre dans l’antiquité que l’empire des mers pouvait donner l’empire du monde. Aussi voyons-nous les colonies phéniciennes s’échelonner sur presque tout le littoral de la Méditerranée : à Carthage, à Utique sur la côte d’Afrique ; à Carthage-la-Neuve (aujourd’hui Carthagène) ; à Barcelone, Port-Mahon, Gadès sur la côte d’Espagne ; à Panorma en Sicile ; à Mélite et à Cythère dans l’Archipel. Cette confédération de villes commerçantes et maritimes, qui eut d’abord Tyr et ensuite Carthage pour métropole, devint tellement puissante, qu’elle lutta un siècle contre Rome. Non-seulement les Phéniciens établirent ainsi leurs colonies sur le littoral et dans les îles de la Méditerranée, mais ils franchirent le détroit de Gibraltar et surent étendre leurs relations commerciales jusqu’à Madère et aux Canaries, qui sont restées bien des siècles après eux les bornes méridionales du monde connu.

Or, tout peuple qui a voulu être une puissance navale de premier ou de second ordre a plus ou moins adopté le système des Phéniciens, avec les différences qu’entraînait naturellement le changement apporté par une assez longue série de siècles dans les connaissances géographiques, les mœurs et le mode de trafic. Qu’on se rappelle en effet le rôle commerçant, colonisateur et par suite le rôle maritime qu’ont joué dans l’histoire moderne, et les Espagnols colonisant l’Amérique, et les Hollandais colonisant l’Inde, et les Anglais venant leur succéder sur ces deux continens. La France elle-même, vers le milieu du siècle dernier, avait le drapeau de ses colonies planté sur toutes les mers, et c’est de cette époque que date l’abondance de ses ressources en personnel maritime. Cependant l’exemple de l’Angleterre est plus décisif encore que celui de la France en faveur du système phénicien. Nul peuple n’a mis plus de persévérance à poursuivre le but de la puissance phénicienne que le peuple anglais, et non-seulement le but, mais la constitution politique de ces deux nations, alors qu’elles arrivent toutes deux au faîte de la prospérité, ont certains points de similitude fort remarquables. La constitution politique de Carthage, par exemple, admettait,