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du 5 septembre, ce ministère fit des actes devant lesquels auraient reculé MM. Lainé, de Richelieu, Dessolles et Decazes. Il émancipa la presse, assura la sincérité des listes électorales, consacra la spécialité dans le vote des chapitres du budget, tenta d’introduire le principe électif dans l’administration des départemens et des communes, et donna la plus sainte de toutes les libertés en pâture à d’aveugles colères. Mais, tandis que la gauche obtenait tant de gages pour ses idées, elle n’obtenait presque rien pour ses ambitions impatientes : on amorçait celles-ci sans les satisfaire. La main qui imposait des formulaires aux consciences n’était pas assez forte pour faire un préfet. Peut-être est-il triste de le penser, mais c’est le devoir de l’historien de le dire : le ministère Martignac aurait fourni une plus utile carrière, si l’origine de ses membres avait été différente, s’ils s’étaient trouvés en mesure de servir davantage les intérêts en servant moins les passions, et de dépenser en petite monnaie ce qu’ils prodiguaient en grosses et parfois en périlleuses concessions. Gouverner par l’opposition pouvait être chose chanceuse, mais gouverner en rapprochant celle-ci des affaires sans lui en ouvrir L’accès était une tentative plus redoutable encore. Il était naturel que l’opposition s’irritât de ne pas se voir représentée dans un cabinet qui faisait tant pour elle. Maintenir résolûment la barrière qui la séparait de la dynastie, ou devancer au profil de, celle-ci, par une confiance généreuse, le mouvement qui, après 1830, transforma tant de tribuns en conservateurs, telle était la seule alternative possible, et le ministère Martignac ne correspondait ni à l’une ni à l’autre de ces combinaisons. Appartenant à la droite par les personnes, à la gauche par les actes, il suscitait de tous côtés des irritations et des colères. Suspect à la couronne par l’entreprise à laquelle il s’était voué contrairement à la pensée royale, il ne rencontrait qu’un appui conditionnel sur les bancs de l’opposition, qu’une neutralité fort peu bienveillante sur ceux où siégeaient les amis encore nombreux du cabinet précédent. Dans une telle situation, les échecs parlementaires ne pouvaient lui manquer, quelques éloquens appels qu’il adressât chaque jour à la conciliation et à la paix. Ces échecs ne lui furent ni épargnés ni mesurés, et le roi Charles X les voyait survenir sans étonnement comme sans regret. Les exigences de la gauche, loin d’amener le monarque à se rapprocher d’elle, le portaient en effet à précipiter la fin d’une expérience qu’il avait toujours réputée, dangereuse et transitoire. Par les embarras sous lesquels succombaient ses ministres, ce prince était confirmé dans la foi de toute sa vie. Plus que jamais il tenait toutes concessions pour inutiles, et répétait comme un axiome désormais incontestable la vieille maxime de Coblentz : sauver la royauté par les royalistes, en opposant résolûment le principe monarchique au principe révolutionnaire.

Ainsi, après treize ans de transactions inspirées par la prudence,