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aventure plaisante. Quelques-uns portaient des filets, des lignes préparées, des dards, des épieux, des flèches. Des chiens dressés à poursuivre le lièvre ou le sanglier gisaient pêle-mêle au milieu de cette foule muette. Au service de chacun d’eux était attaché un esclave qui répondait sur sa tête de l’animal confié à ses soins.

Dans la première barque, deux hommes étaient couchés sur des coussins somptueux. Leur attention n’était distraite ni par la magnificence des châteaux fuyant des deux côtés du fleuve, ni par le tableau animé qu’offraient les vendangeurs comme suspendus aux pointes des rochers, ni par les chants et les rires des mariniers dont les bateaux sillonnaient en tous sens le lit transparent de la Moselle. Tous deux semblaient rêver profondément ; mais les objets de leur rêverie étaient aussi différens que leur physionomie et l’ensemble de leur personne : bien que nés de la même mère, rien ne se ressemblait moins que Marcus Secundinus Macer et Publius Secundinus Capito.

Macer paraissait avoir environ soixante ans, il était petit et maigre, il avait les joues creuses et ce teint bilieux qui annonce les ardeurs internes de l’ambition. Sa figure offrait un mélange de dignité et de finesse : on sentait que son regard sévère et par momens sombre pouvait devenir insinuant et flatteur, que ses lèvres comprimées par l’orgueil et légèrement relevées par le dédain pouvaient prendre une expression caressante et feindre un complaisant sourire. Son front chauve plissé de rides était empreint d’une certaine grandeur native, obscurcie par cette expression d’humeur chagrine que donne l’habitude des petits intérêts et des soucis mesquins.

Chef et représentant de l’illustre et opulente famille des Secundinus, qui remplit de nombreux emplois dans la province de Trêves, et à laquelle est consacré le curieux monument d’Igelstein, Macer, comme la plupart des riches propriétaires gaulois de ce temps, avait été tourmenté toute sa vie de la soif des dignités de l’empire, dignités qui n’étaient plus que de vains titres et de futiles décorations. Cette passion des honneurs, qui, dans l’âge de la république, eût produit peut-être un de ces grands patriciens qui ont laissé leur nom à l’admiration des hommes, dans les temps déplorables où Macer était tombé, n’avait fait de lui qu’un courtisan souple, intrigant et opiniâtre. Il avait passé plusieurs années à Rome, où se trouvaient quelques anciennes familles alliées à la sienne. Il y avait vécu au milieu de ces races sénatoriales chez lesquelles se maintenait une ombre de la vieille vie romaine, et que dominait un invincible éloignement pour le christianisme. L’ambitieux patricien s’était insinué un moment dans la faveur de Théodose ; disgracié bientôt par l’empereur chrétien, à qui les rivaux de Macer avaient inspiré de légitimes soupçons sur la sincérité de sa foi, il avait conservé un ressentiment profond contre la religion nouvelle, et s’était