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reproduire ce qu’il appelle la simplicité et la brutalité homériques. Il est tout-à-fait épris de couleur locale ; il tient surtout au lavement des pieds et à ces porcs qui jouent un si grand rôle dans les vers d’Ulysse. Quoi ! n’est-ce que cela ? Nous en avons lu et entendu bien d’autres. M. Ponsard est un peu en retard, et le voici qui marque sa montre à l’an 1829 ! Il découvre une route où tout le monde a passé et d’où tout le monde est sorti ! Ce n’est pas même que l’auteur de Lucrèce arrive, autant qu’il le pense, à reproduire cette simplicité et cette brutalité dont il parle ; il y a toujours sur sa poésie une teinte de rhétorique, et, après tout, ce n’est guère autre chose qu’un Bitaubé traduisant Homère en vers. Le poème de M. Ponsard, malgré sa préface, ne fera donc pas révolution dans l’art et dans le goût. Il ne s’élève pas au-dessus du médiocre. Par Ulysse et Homère, l’auteur a complété la série de ses traductions ; il a dit ce qu’il avait à dire en fait d’imitation de la poésie grecque, et ce qu’il avait à dire n’était rien que ne pût raisonnablement oser un élève de rhétorique exercé. Il faut évidemment une autre impulsion, d’autres alimens à l’inspiration littéraire pour la relever aujourd’hui de cette atonie qui est un des signes de notre situation intellectuelle, à côté de tout ce qui caractérise notre situation politique.

Ce n’est point sortir de cette sphère d’intérêts littéraires, politiques ou industriels dont l’ensemble compose la vie intérieure de la France, que de toucher aux arrangemens qui viennent d’être conclus avec la Belgique. Une convention nouvelle est aujourd’hui un fait accompli. Ce n’est pas sans peine, on le sait ; les traverses n’ont pas manqué. Cette question a eu assez de phases pour qu’on en ait pu saisir tous les aspects et parfois aussi toute la gravité. Politiquement, nous osons le dire, les négociateurs qui ont signé les nouveaux arrangemens ont rendu un réel service aux deux pays, ne fût-ce qu’en mettant un terme à l’incertitude, et, il y a plus que cela, parce que l’incertitude mène souvent à autre chose. Pour gage de sa rentrée au ministère, M. Drouyn de Lhuys a mis le pied avec une sage et prudente décision sur une complication dont on a pu, en quelques momens, pressentir la portée plus générale ; il a été hardiment et habilement pour la paix commerciale et politique. Du côté de la Belgique, c’est à M. Rogier, à ce qu’il parait, qu’il faut faire honneur de la bonne volonté d’en finir. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que la même pensée de modération n’ait point été partagée par tous les membres du cabinet de Bruxelles. M. Frère-Orban, assure-t-on, a voulu faire exception ; il se sentait en humeur militante, et préparait ses batteries pour une guerre de tarifs qui n’avait à son gré rien d’effrayant. M. Frère-Orban est un de ces esprits absolus qui vont loin pour la satisfaction de leurs vues. Il a mis la Belgique dans plus d’un mauvais pas à l’intérieur par l’excès de ses idées libérales, qui touchent presque au socialisme ; il n’eût plus manqué que les complications extérieures. Voilà comment des esprits de cette trempe peuvent contribuer à aggraver ces questions de rapports internationaux, déjà toujours graves par elles-mêmes ; c’est ainsi qu’ils mettent un sentiment outré de personnalité au-dessus du sentiment sain et réfléchi de la situation politique générale, au risque de jeter, sans s’en douter peut-être, leur pays dans les aventures. La chance de ces aventures est heureusement écartée aujourd’hui par le résultat même des négociations. Maintenant, au point de vue commercial