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bien des incidens surviennent dont il n’est pas toujours facile de donner une explication sûre et infaillible. En revanche, les conjectures sont permises ; voici les nôtres. On est habitué à plaindre de confiance le sort fâcheux des dames turques : il est accepté qu’elles n’ont point d’influence et ne jouent aucun rôle dans les affaires d’état. Quand un haut fonctionnaire épouse la fille ou la sœur d’un sultan, il est difficile cependant que ce personnage favorisé n’en ressente pas quelque orgueil et qu’il se contente volontiers du second rang. De là des intrigues qui agitent à la fois l’administration et le palais. De là aussi, selon toute vraisemblance, l’hostilité qui avait surgi au sein du ministère entre le grand-vizir et l’un des beaux-frères du sultan. En se séparant en même temps de l’un et de l’autre, le sultan aura voulu sans doute trancher la difficulté née de leurs dissentimens.

Les réclamations adressées par le cabinet français n’ont pas nui de leur côté à cette révolution ministérielle, préparée, ce semble, de longue date. Rechid-Pacha est un homme éclairé auquel l’opinion s’est complu à rendre justice en France. Les services qu’il a rendus, non-seulement à la Turquie, mais à l’Kurope occidentale, en travaillant avec un dévouement si complet à la réforme de l’empire, méritent tous les éloges. Dans les questions extérieures néanmoins, Rechid-Pacha a de tout temps subi l’influence d’une préoccupation qui, sans être dépourvue de justesse, n’est pas favorable à la France. L’amitié de l’Angleterre lui a toujours inspiré plus de confiance que celle de la diplomatie française. De fait, depuis de longues années, tout en protestant de ses bonnes dispositions pour la Turquie, la France lui a souvent porté des coups redoutables. Les Turcs n’ont qu’un seul grief un peu vif contre la politique anglaise : la bataille de Navarin. Encore l’Angleterre a-t-elle si vite et si souvent regretté la part prise à cette journée funeste à l’empire ottoman, qu’elle a vraiment mérité de recevoir à Constantinople un bill d’indemnité. Les torts de la France, aux yeux des partisans de l’Angleterre en Turquie, sont bien autrement nombreux. Que l’on se rappelle l’expédition d’Égypte, la guerre hellénique, la conquête de l’Algérie, la protection accordée à Méhémet-Ali en 1840 : il est difficile d’effacer de pareils souvenirs dans la mémoire de certains Turcs, et, il faut bien le dire, Rechid-Pacha, sans trop le faire sentir à la diplomatie française, a toujours été un peu de ce nombre. Il en coûtait sans doute à sa susceptibilité de céder, aussi promptement et aussi complètement qu’il le fallait, aux récentes réclamations du gouvernement français. Le sultan, avec un juste sentiment des nécessités présentes, aura trouvé cette hésitation dangereuse, et cet incident diplomatique, joint au désaccord de son beau-frère et du vizir, aura hâté le changement qui vient de s’accomplir.

La question des pêcheries en Amérique n’a pas fait un pas dans cette dernière quinzaine. Une nouvelle saisie de vaisseau a eu lieu, et le commodore Perry est parti avec le Mississipi pour aller faire respecter les intérêts de ses nationaux. Le débat se réveillera probablement avec plus de vivacité, lorsque le sénat discutera à fond le message du président sur cette affaire ; pour le moment, nous n’avons à enregistrer qu’un discours très belliqueux de M. Soulé, sénateur de la Louisiane, dans lequel la question se trouve singulièrement agrandie. Peu lui importe, à lui, les conventions de 1818, les