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autrefois écarté ; mais cela même était un symptôme historique de l’état des esprits. Ce faux goût, ou du moins cette parure élégante dont la parole religieuse avait besoin de se farder pour se faire admettre, cette complaisance au temps, ces opinions que l’orateur chrétien lui empruntait pour en être mieux écouté, sans l’être toujours, retracent comme un côté de la tendance du XVIIIe siècle, et appartiennent à l’histoire des opinions encore plus qu’à celle de l’art. Par là même, l’analyse en sera plus instructive et nous conduira d’un genre d’éloquence vers un autre, de l’église à l’Académie, de l’Académie dans le monde, et jusque dans les affaires publiques, pour y retrouver trop souvent l’influence alors trop dominante de deux choses qui malheureusement se touchent et s’appellent l’une l’autre, l’illusion et la déclamation.

Ce n’est pas seulement dans le livre de l’Influence des opinions religieuses qu’un esprit grave, généreux, estimable à tant de titres, M. Necker, prodigue toutes les pompes de langage, tous ces efforts de parole dont Fénelon avait censuré l’emploi dans les prédicateurs. Ces pompes, M. Necker les avait eues même dans l’éloge du précis et judicieux Colbert, et il crut en avoir besoin pour faire lire un compte rendu de finances, notre premier budget publié, ce qui semblait une recommandation suffisante pour la curiosité, et (telle était apparemment la fantaisie du goût public) il ne fut pas réfuté dans un style moins brillant et moins orné par M. de Calonne.

La prédominance de ce qu’on appelle à tort l’éloquence académique n’était pas sans doute étrangère à ce déclin et à cet abus de la parole. Thomas, si souvent couronné, avec un assez grand éclat de faveur populaire, pour des Eloges encore plus pompeux et plus chargés d’abstractions et de métaphores que celui de Colbert, Thomas, plus applaudi au Louvre, dans la séance où il lut son Marc-Aurèle, que Bossuet ne fut jamais admiré dans la chapelle de Versailles ; Thomas rappelle, avec une date moins bonne pour la langue et autrement mauvaise pour le goût, l’ancien Balzac, qu’il ne surpasse pas dans ses écrits, quoiqu’il valût beaucoup mieux par l’ame. Du reste, par le ton élevé, quoiqu’un peu vague, de sa philosophie, par le stoïcisme fastueux de sa parole, il ressemble singulièrement à ces orateurs célèbres de la décadence grecque sous l’empire, Dion Chrysostôme, Aristide, Libanius, Thémiste, honnêtes et nobles aussi, luttant contre des pouvoirs plus redoutables que la molle autocratie de Louis XV, parlant dans un camp révolté aussi hardiment que dans une école, chassés des villes aux déserts et reparaissant tout à coup aux acclamations de la foule, hommes qu’on appelle sophistes cependant, et que fit pâlir la foi plus ardente, la parole plus vertueuse et plus populaire des grands évêques chrétiens d’Asie. Chez nous, la même éloquence sophistique ne rencontrait ni les mêmes périls ni d’aussi puissans rivaux. Elle régna quelque