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qui bordent la baie, et celles-ci n’abritent pas de laboureur qui ne soit ou n’ait été matelot : la simplicité patriarcale des familles, la paix qui règne dans ces campagnes reposent l’ame des envieuses et cupides agitations de nos villes. Si, après avoir observé dans leurs détails les résultats obtenus ici par la persévérance, l’économie et la sagesse bretonnes, on les considère dans leur ensemble, on est frappé de ce que gagneraient de plus grands foyers de navigation à suivre les exemples qui se donnent sans bruit dans la baie de Saint-Brieuc.

Sous Louis XIV d’ailleurs et de nos jours, cette partie négligée de notre domaine maritime a été l’objet d’études et d’observations qui n’auraient pas été perdues de vue, si nous avions un peu plus de l’esprit de suite qui fait la principale force de nos voisins d’outre-Mancbe. Si je réussissais à les reproduire, on verrait que deux établissemens, l’un militaire, l’autre commercial, et tous deux importans parmi les établissemens secondaires, ont leur place marquée sur cette côte. Les créations de cette sorte sont heureusement de celles pour lesquelles la perte du temps n’est pas irréparable.

Le 16 septembre 1851, à sept heures du matin, nous étions le long de la jetée de Saint-Malo, à bord du joli cotre l’Entreprenant, capitaine Le Hérissé. La voile pendait le long du mât, et de légers nuages, immobiles au-dessus de nos têtes, témoignaient du calme profond de l’air ; mais, à défaut du vent, le jusant pouvait nous conduire jusqu’au cap Fréhel : nous le suivîmes en nous faisant remorquer à quatre avirons. Nous aurions volontiers passé la journée à visiter les grandes anfractuosités du cap : ce point de la côte de Bretagne est peut-être par l’enchevêtrement des terrains primitifs et des terrains tertiaires, celui dont la géologie est la plus curieuse à étudier. Nous étions donc résignés à attendre le vent au mouillage du fort de la Latte, lorsqu’à la hauteur du phare et au moment où le flot se retournait contre nous, une faible brise, s’élevant de l’est, nous donna la force de le refouler : nous mîmes le cap sur l’île Bréhat ; en quelques instans, les côtes de la baie de Saint-Brieuc se déployèrent à nos yeux, ici sombres et déchirées, défendues par des écueils jetés au large comme des ouvrages avancés, là-bas presque effacées dans les vapeurs de l’Océan. La baie, que nous laissions au sud, a la figure d’un triangle rectangle appuyé, du cap Fréhel aux Héaux de Bréhat, sur une hypothénuse de 62 kilomètres, et ayant son sommet au pied de la montagne de Saint-Brieuc. L’étendue en est de 90,000 hectares ; elle est découpée dans de hautes terres à bases rocheuses, et les vallées étroites dont celles-ci sont sillonnées forment, en débouchant sur la mer, les points abordables de la côte.

L’île Bréhat ferme la baie du côté de l’ouest : elle est le sommet d’un plateau granitique, en grande partie sous-marin, hérissé de pointes aiguës, et dont l’aspect, du côté de la mer, change d’heure en heure,