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Kerim-Khân. L’eunuque s’assit sans trouble sur le trône dont ces massacres lui avaient fraye la voie, et fonda la dynastie qui porte la couronne de Perse depuis plus d’un demi-siècle. Pendant son règne, Aga-Mohammed-Khân, n’ayant plus rien à redouter de la famille Zend, s’occupa activement à réduire les provinces qui pouvaient contester son autorité ; il groupa autour de son trône toutes celles qui composent actuellement le royaume d’Iran. Après avoir régné paisiblement pendant vingt années sur la Perse, qui, par besoin de repos, supporta son joug sanguinaire, Mohammed-Khân fut assassiné, en 1797, à l’âge de soixante-trois ans. — Deux de ses serviteurs ou pichketmetss s’étaient pris de querelle dans son appartement ; Mohammed avait ordonné de mettre à mort les impertinens qui s’étaient permisse troubler le silence du sérail, et les deux condamnés furent ses assassins.

Aga-Mohammed-Khân avait fait mourir son frère, quoiqu’il lui fût redevable d’une grande partie de ses succès, « afin d’éviter, disait-il, les querelles qu’il supposait devoir s’élever, entre celui-ci et son neveu, qu’il avait choisi pour successeur. » Si par hasard le cri de sa conscience s’élevait contre ses propres crimes, il disait pour les justifier, en montrant son neveu : « C’est pour que cet enfant puisse régner en paix que j’ai répandu tout ce sang. » Ce neveu s’appelait Fet-Ali-Châh, ou familièrement Baba-Kbân. Il régna sous le nom de Fet-Ali-Châh, non pas tout-à-fait sans contestation, mais sans avoir à réprimer de bien graves conflits. Imitant la prudence de son oncle, il fit passer devant les yeux de son frère un fer rouge, c’est-à-dire qu’il le fit aveugler. Dans un pays où les lois de transmission du pouvoir royal n’ont rien de fixe, où elles peuvent être transgressées par le premier ambitieux assez hardi, pour lever l’étendard de la révolte, les frères et en général les parens sont presque toujours les premières victimes sacrifiées au repos de celui qui, plus heureux, a pu s’emparer de la couronne.

Fet-Ali-Châh trouva les Persans bien préparés à reconnaître son autorité ; il recueillit les fruits de l’administration ferme et souvent cruelle de son oncle. Il profita également des richesses que la cupidité et l’avarice d’Aga-Mohammed-Khân avaient amassées. Il trouva dans la réunion des trésors de Nadir-Châh épargnés par Kerim-Khân, dans les économies ou rapines de son oncle, les moyens de satisfaire tous les goûts de luxe, toutes les jouissances que peut rêver un homme et surtout un prince asiatique. Fet-Ali-Châh en usa jusqu’à la prodigalité ; il dépensa la plus grande partie de ses richesses dans l’intérieur de son harem, où il comptait six cents concubines qui lui donnèrent soixante-dix enfans mâles et un nombre au moins égal de filles. À ces causes d’épuisement de la cassette royale vinrent s’en joindre d’autres d’un ordre plus sérieux : la Perse était menacée par la Russie ; déjà la Géorgie