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En montant sur le trône, Mohammed-Châh n’eut pas de sang à répandre : il trouva les membres de sa famille et son peuple même assez bien disposés à accepter son autorité. Cependant, comme s’il était dans la destinée du souverain de Perse de ne pouvoir ceindre la tourah sans avoir à lutter contre des prétentions plus ou moins énergiquement soutenues, les unes par les armes, les autres par les intrigues, un de ses oncles ne put se résoudre à le voir attacher l’aigrette royale à son bonnet sans au moins la lui disputer. — Ce châhzâdèh rebelle, dont le nom est Zelly-Sultân, fut impuissant à combattre le fils de son frère, et, bientôt abandonné de ceux qu’il croyait dévoués à sa cause, il fut obligé de fuir. Il se réfugia à Bagdad, où le gouvernement anglais, qui l’a pris sous sa protection, lui accorde encore aujourd’hui un subside princier et le retient comme un glaive menaçant suspendu sur le trône d’Irân. Mohammed-Châh, jeune, d’un caractère doux, élevé dans des idées qui n’excluaient pas les connaissances de l’Europe, aurait pu devenir le régénérateur de son pays : il eût pu profiter de la paix qui régnait autour de lui, de l’absence de toute cause de guerre civile, pour ranimer la nation persane humiliée par les vexations des grands, engourdie par une longue habitude d’oppression ; mais ce prince était indolent : faible et maladif, il s’en remit constamment à son premier ministre du soin de toutes les affaires de la monarchie. Celui-ci, mollah fanatique autant qu’ignorant et inhabile, laissa la Perse dans sa torpeur, priant peut-être Allah et Mahomet de veiller sur les peuples qu’il avait mission de gouverner. La Perse glissa ainsi de plus en plus sur la pente de la décadence, et chaque année la rapprocha de l’abîme sur lequel elle n’était tenue en équilibre que par les deux forces qui la tiraient en sens contraires : la Russie et l’Angleterre.

Mohammed-Châh était du reste un honnête homme ; il passait même pour le plus honnête homme de son royaume. Il avait des vertus privées, s’il n’avait pas de qualités royales. Sa cour, fort simple, ne ruinait pas le pays ; il n’était nullement prodigue, et, d’une sévère, austérité pour lui-même, il en donnait l’exemple à tous ceux qui l’approchaient. Il ne profitait pas de la latitude offerte par la loi musulmane au sujet des femmes, et, s’éloignant, en cela surtout, de son grand-père, il n’eut que trois femmes, qui lui donnèrent cinq enfans, dont deux princes[1].

Ce monarque, quels que fussent les frottemens qu’il avait eus dès son enfance avec des Européens, n’avait pu dépouiller toutes les idées qui étaient en germe dans sa nature asiatique. Il était soumis à bien des préjugés. Une crainte superstitieuse le tourmentait d’ailleurs et empoisonnait sa vie. Dans un livre écrit il y a quatre siècles, et qui a pour titre,

  1. L’un d’eux est le châh régnant Nasser-ed-Din-Châh.