Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/1146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pays latins les habits somptueux. Jusque-là simples ou même grossiers, les vêtemens étaient de gros drap ou de serge. Quand on connut les étoffes de la Perse, les tissus de l’Occident furent laissés aux pauvres ; on ne s’habilla plus qu’avec les brocarts et les satins ou les velours venus de l’Orient. Pendant plusieurs siècles, la Perse satisfit à toutes les fantaisies luxueuses de l’Asie et de l’Europe, qui étaient ses tributaires ; mais avec la vogue de ces beaux produits de tout genre se développa le goût des artistes et des industriels européens. Le commerce et l’industrie marchèrent de front. On résolut d’exporter et de faire payer à l’étranger ce qu’on allait à grands frais lui acheter. Une rivalité préjudiciable aux intérêts de l’Asie ne tarda pas à se produire. Alors se dressèrent sur tous les points de l’Europe des métiers, s’élevèrent des fabriques où se tramèrent des tissus de soie et d’or, où se façonnèrent des toiles à ramages et des brocarts qui ne le cédèrent bientôt plus à ceux de la Perse. L’Europe, la France principalement, enlevait à l’Asie le monopole qui pendant long-temps avait imposé au luxe toujours croissant des Européens un tribut onéreux. La Perse était vaincue, mais il lui restait l’honneur d’avoir été la première à forger les armes qui venaient de se tourner contre elle.

Les produits de la Perse importés en Europe y avaient donc formé d’habiles ouvriers. On sait comment la Perse, successivement devenue l’esclave de ses voisins on l’héroïque conquérante de l’Inde, en était venue à user ses forces dans les discordes civiles et les guerres d’usurpation. Toutes ces causes devaient infailliblement porter des coups funestes à son industrie, à ses arts, à tout ce qui avait fait sa gloire. Pendait que ce malheureux pays se consumait en querelles intestines, en révolutions, l’Europe travaillait, ses métiers se multipliaient, sa marine visitait les mers, faisait échelle dans tous les ports de l’Orient pour y introduire ses produits, calqués sur ceux de l’Asie, exécutés en vue de satisfaire à ses besoins. Cette concurrence commença par établir un antagonisme dans lequel la Perse, luttant d’abord avec courage, finit par avoir le dessous, et vit son industrie ruinée peu à peu. Le fanatisme religieux avait repoussé d’abord, mais faiblement, les productions chrétiennes ; quelques fabriques où les traditions se conservaient avaient essayé d’opposer une digue au débordement de marchandises que les navires européens apportaient de plusieurs côtés. Déjà c’en était fait de la Perse : le maître était surpassé par l’élève, surtout en activité et en fécondité ; le maître dut fléchir ; aujourd’hui il courbe la tête et regarde tristement les instrumens inactifs de son industrie, jadis si brillante ; il voit avec douleur l’araignée tisser sa toile sur les métiers immobiles. Cependant, au milieu de ces ruines industrielles, parmi les débris d’une civilisation florissante à laquelle nous devons tant de