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dont les périodes éternelles décourageaient d’admiration toute la suite de Philippe de Bourgogne ; Jean Marot ; Martin Franc ; Meschinot, qui composa les Lunettes des princes avec toutes sortes d’ingrédiens mirifiques, mais surtout avec des séries de huit vers lesquels pouvaient se lire et se retourner en trente-trois manières différentes ; Octavien de Saint-Gelais, évêque d’Angoulême ; Jean d’Authon, historiographe de Louis XII. Au-dessous d’eux, nous voyons Blaise d’Auriol, bachelier en chascun droit ; André de La Vigne, secrétaire d’Anne de Bretagne ; Jehan Bouchet, simple procureur à Poitiers. mais qui s’intitule superbement le traverseur des voies périlleuses du monde ; plus bas encore, d’autres qui ne sont guère connus que par les témoignages de camaraderie dont on les honore, mais la plupart chevaliers, quelques-uns grands seigneurs, Castel, Macé, Villebresme, Bissipat, etc.

Tous ces précurseurs de la renaissance avaient parfaitement compris du reste le côté faible du style du moyen-âge : ils avaient bien vu qu’il lui manquait surtout deux qualités, la régularité et la gravité ; mais ils avaient appliqué des remèdes maladroits. Pour arriver à la régularité, ils avaient dû chercher dans les auteurs latins non les grandes beautés générales, ni le côté réel et humain, mais la méthode. C’était l’imitation servile introduite par des érudits comme principe de poésie. Ils ne recherchaient pas comment Cicéron analysait un caractère, comment et avec quelle connaissance de l’humanité il parlait au cœur pour y soulever l’enthousiasme ou la colère ; ils étudiaient seulement comment il divisait ses discours. Ce n’était pas à Juvénal à Catulle, à Tacite qu’ils allaient ; leurs maîtres, c’étaient Sénèque, Pline le naturaliste, parce qu’il satisfaisait cette curiosité, cet amour du merveilleux qui restaient du moyen-âge ; c’étaient surtout Cicéron dans sa partie didactique et Quintilien. Il arrivait de là que celui qui découvrait, trois parties nécessaires dans une confirmation était un grand homme, et l’ouvrage le plus plat, comme l’étaient toutes ces œuvres esclaves, était un chef-d’œuvre, s’il portait gravement les chaînes de l’amplification latine, tandis que l’œuvre la plus élevée, la plus vraie, n’était pas acceptable, si elle n’obéissait pas à ces nouvelles règles. – On le sait du reste, toute notre littérature a’été tourmentée par cette préoccupation, le mécanisme des anciens ; Racine et la grande école du XVIIe siècle ont élargi la chaîne et l’ont portée, avec une majesté souveraine, mais la chaîne existait.

Quant à la gravité, l’autre défectuosité de la vieille langue, l’école savante y pourvoyait d’une manière analogue. On découvre vers le milieu du XVe siècle l’existence d’un goût singulier, d’un engouement unique dans les fastes des modes françaises, l’amour de l’obésité. Nous n’avons jamais pu nous expliquer cette étrange passion que par l’influence anglaise et flamande. Le pauvre Jacques Bonhomme tant pillé, hâve et affamé, tous ces aventuriers efflanqués par les fatigues de la guerre, admiraient avec envie, ces gros goddons d’Angleterre, ces graves ventres flamands encadrés dans une chaîne d’or ; ces chairs vermeilles et cette aristocratie de santé, c’étaient pour eux la représentation admirable des joyeux jours d’avant la guerre, c’étaient le conseil vivant de la paix bienfaisante et l’éloge irrécusable de la tranquillité désirable du foyer domestique. Puis cette rotondité magistrale était l’attribut du parti vainqueur et puissant, tandis que la maigreur était l’apanage des vaincus, la conséquence