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qu’il pouvait les chercher. Malheureusement pour Roger, la cour regorgeait de poètes. Il y avait là d’abord tous les débris de l’école savante, qui avaient brillé sous Louis XII et survivaient à leurs vers équivoqués, à leurs rimes batelées, il leurs fleuretons, à leurs chants royaux - Jehan Bouchet, Charpentier, Crestin ; puis leurs antiques ennemi, Marot, Pierre Gringore ; enfin et surtout l’école qui construisait avant la pléiade cette langue correcte, froide, ennuyeuse que Ronsard allait réveiller, — les Pelletier, les Denizot, les Claude Chapuys. Tout cela, aidé de quelques individualités peu faciles à classer, comme Bonaventure Desperiers et Mellin de Saint-Gelais, tout cela occupait la cour. Il n’y avait ni place ni oreilles pour ce sauvage provincial, marqué au sceau de Plate-Bourse, et s’en venant naïvement jeter de petites épîtres, de modestes rondeaux dans le guichet du Louvre, qui en était encombré. Marot n’était pas à la cour ce poète déificque qu’il paraissait à Auxerre, il n’avait pas pouvoir de protéger les autres, et il avait fort à faire lui-même contre la jalousie de monseigneur le roi de Navarre. Les rêves apportés de la Bourgogne s’envolèrent donc, et aussi les écus qui les accompagnaient comme répondans. Roger était entré dans la grande ville plus fier que le roi Salomon, il traînait après ses chausses poudreuses l’Ambition, la Gloire et la Fortune, parées de riches promesses, comme des épousées ; mais, hélas ! à chaque jour s’en allait une pièce de leurs atours, et il fallut les congédier. Il ne lui restait guère alors de Gilleberte que l’oubli ; il avait rencontré quelque autre amour, et ce devait être un bien triste amour, car nous n’en connaissons que les plaintes. Un vilain lui enleva bientôt sa fleur Marguerite. Dès-lors, rien ne le retenait plus dans cette ville où il avait appris à connaître cette particulière, âpre et mystérieuse douleur qui naît des désappointemens littéraires.

C’était une dure chose pour lui que de quitter ainsi la terre promise de ses illusions. Pauvre poète ! de tous ses rêves, il ne lui restait plus que le regret de s’éloigner du cimetière Saint-Innocent, d’où depuis long-temps il avoit eslu sa sépulture. » Triste et charmante pensée qui nous montre ce qu’étaient devenues toutes ces promesses de gloire et de fortune ! Elles avaient été choisir la tombe de leur poète : c’était la seule et suprême joie qu’elles lui eussent jamais donnée. Pourtant Roger espère encore. Comme le font toutes les candides et malencontreuses natures, il espère en l’amitié, il attend quelque noble cœur. Il resterait bien volontiers dans la patrie des poètes heureux, s’il trouvait, comme il le dit ingénument, quelque bon seigneur qui payât sa nourriture et sa vesture ; mais il fut encore trompé, et il lui fallut retourner à Auxerre.

C’est alors qu’eut lieu sa transformation. Nous ne savons ce qu’était devenue Gilleberte ; peut-être avait-elle vieilli, peut-être avait-elle trouvé la couronne de l’âge mûr féminin, quelque gras chaperon fourré, orné d’une chaîne d’or. Ce qui est certain, c’est qu’à cette époque, elle avait disparu de la vie de Collerye, et avec elle l’amour. Alors tous les instincts du trouvère reparaissent, et son caractère se développe dans sa tendance normale. Roger Bontemps s’était engourdi dans la tendresse, et toute sa nature s’était affadie. À l’aide de la misère et de l’âge mûr, Roger de Collerye reconquit son caractère ; avec le souvenir de ses souffrances amoureuses et des poésies anciennes, il recomposa la femme des conteurs du Roman de la Rose et des Cent