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un esclave porte le manteau de son maître en attendant que son maître le reprenne. Un si beau sujet l’avait magnifiquement inspiré : Capito était ravi de son œuvre oratoire, car il était parvenu à y faire entrer des expressions de Cicéron, de Pline et de Fronton, tandis que ses confrères se contentaient en général de copier un de ces trois modèles. Malheureusement la péroraison, qui devait être le morceau à effet, et dans laquelle Capito était parvenu à ne pas mettre une ligne qui fût de lui, l’avait retenu si long-temps en Gaule, qu’Eugène avait été détrôné avant que le panégyriste eût achevé sa dernière période. Arbogaste était arrivé à la fin de son empereur plus tôt que Capito à la fin de son discours. Sans se laisser décourager par cet accident, celui-ci avait bravement continué et terminé son panégyrique, pensant qu’il pourrait s’en servir un jour. En effet, quelques années plus tard, il était allé à Constantinople pour le prononcer, après quelques légers changemens, devant le berceau d’Arcadius ; mais l’eunuque qui protégeait Capito ayant été renversé avec la faction arienne, dont il était un des chefs, le malencontreux orateur était revenu en Gaule, suffoqué de son panégyrique, qu’il n’avait pu placer. Il passait sa vie à le limer, le polir, l’orner, et se soulageait de son mieux, soit en le récitant à voix basse avec un charme toujours nouveau, soit en le communiquant bénévolement à ceux qu’il rencontrait, ce qui était loin de leur être aussi agréable qu’à lui. En ce moment, il répétait, suivant son habitude, un passage favori de sa harangue. Il avait commencé par la déclamer intérieurement, sans paroles ; puis il l’avait murmurée à voix basse, et peu à peu il avait élevé le ton à mesure qu’il entrait dans la situation et qu’il se transportait en esprit dans le palais impérial, au milieu d’une assemblée ravie de l’entendre. Enfin, entraîné par cette illusion croissante et par l’excitation de sa propre éloquence, il s’écria tout à coup à pleine voix : « A qui te comparerai-je, ô divin Auguste, très clément et tout-puissant empereur ? Te comparerai-je au ciel, à la lune, aux étoiles, à la mer, à la terre ? Mais le ciel… » Macer, qui redoutait une tirade bien connue, et à qui il déplaisait d’être arraché par ces futilités à des réflexions qui lui semblaient plus sérieuses, interrompit l’orateur, en lui disant : — Ton discours est beau, mon cher Publius ; tu sais combien j’admire ton éloquence ; ne sois point irrité, je t’en conjure, si je ne puis prêter l’oreille à tes paroles : de moment en moment, je m’attends à voir paraître sur la rive, s’empressant vers nous de toute la vitesse de son cheval, mon cher Lucius, mon unique fils, absent depuis deux lustres, et cette attente occupe mon ame tout entière. — Puis, d’une voix basse et creuse, comme s’entretenant avec lui-même : — Oui, je l’attends, ce fils, avec une impatience mêlée de perplexité. Quel est-il ? Qu’ont fait de lui ses voyages ? Comment Alexandrie et Athènes