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de cavalerie. Il faut à tout prix battre les Arabes, et on ne le peut qu’en prenant leurs propres armes, la légèreté et la mobilité. Aux officiers à qui ces missions importantes sont confiées, il appartient de juger le terrain, le danger, l’occasion. Une grande responsabilité pèse sur eux; avant tout, ils doivent se tirer d’affaire, ne point attirer d’embarras à la colonne, éviter le danger ou lui tenir tête, mais dominer toujours et triompher de la résistance. C’est ce qui arriva dans cette circonstance aux spahis et aux chasseurs; ils avaient tué quelques Kabyles et poursuivaient leur marche, quand, dans un bas-fond, au milieu de jardins de figuiers, les éclaireurs aperçurent huit cents cavaliers ennemis environ, bien montés, bien équipés, entourant le drapeau du chérif. Charger des forces aussi considérables avec cent spahis et soixante chevaux de France, lourds, difficiles à manier et montés par des hommes qui n’avaient point l’habitude de cette guerre, c’eût été commettre une grande imprudence. Il fallait sans hésiter gagner les crêtes voisines, mettre pied à terre et se défendre au fusil jusqu’à l’arrivée de l’infanterie, qu’un passage difficile avait retardée, puis se lancer dès que l’on aurait un bataillon de soutien pour recueillir les blessés, et se replier au besoin. Le capitaine Fleury donne sur-le-champ l’ordre de faire tête de colonne à gauche, au trot. Les spahis, plus lestes et mieux montés que les chasseurs de France, tiennent l’arrière-garde. Cette petite troupe est alors semblable à un vaisseau qui vire de bord, exposé par le flanc au coup de la lame, jusqu’à ce qu’il ait terminé son embardée. Les cavaliers ennemis prennent le galop, rasent nos lignes en poussant les hurlemens de combat, envoient leurs balles, pénétrant parfois à travers le peloton de tirailleurs. Les plus vigoureux des spahis assurent ainsi la marche de la troupe, qui parvient à gagner les crêtes rocheuses. Aussitôt, mettant pied à terre, comme des sangliers acculés, ils vont tenir ferme jusqu’à l’arrivée des zouaves, accourant au bruit de cette fusillade, pressée comme les coups de la grêle. Un grand nombre dans les rangs sont frappés. Une balle traverse la cuisse du capitaine en second Biais. L’escadron se battait comme se seraient battues de vieilles troupes d’élite. Le capitaine Fleury, droit sur ses étriers, veillait à tout, plaçant des hommes sûrs aux postes les plus dangereux, les entraînant par son sang-froid et son ardeur. Le grand cheval bai qu’il montait, un colosse, piaffait sous les balles, car, point de mire des Arabes, elles volaient autour de lui. Comme d’un bond il le lançait pour donner un ordre, un cavalier ennemi plus adroit l’ajusta. La balle, traversant le poitrail, abat le noble animal sans vie sur le rocher, et, dans la chute, la cheville du capitaine Fleury est démise; mais en pareil moment le sang court vite et tue la douleur, celui qui commande n’a pas le temps de souffrir. Ali, le trompette,