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s’acquittera mieux que moi, je proposerai à ton ambition un autre but que les palmes de l’école, un but plus sérieux. Tu appartiens à une famille antique, alliée aux Anicius et aux Flaviens, à une famille qui a fourni à l’empire des sénateurs, des consuls, un préfet du prétoire de la Gaule, un préfet du prétoire d’Italie, et un grand nombre de dignitaires du palais impérial. N’éprouves-tu pas une noble envie de marcher sur leurs traces ? Tu peux aller plus loin qu’eux. Nous avons des amis à Milan et à Constantinople ; il te sera facile de t’attacher à l’un des deux empereurs ; la carrière des légations t’est ouverte. Si tu as du goût pour les armes, les bons généraux sont si rares aujourd’hui, qu’on est obligé d’aller en chercher, ô honte ! dans les rangs des Barbares. Qui sait si tu n’inscriras pas ton nom dans les fastes consulaires ? Tu ne serais pas le premier consul qu’eût vu naître la Gaule. Elle a fait plus, ajouta-t-il avec un accent qui exprimait une profonde et secrète ardeur ; elle a produit plus d’un citoyen d’une extraction moins noble que la tienne qui a saisi la pourpre impériale. Rien n’est impossible, mon fils, dans nos temps de désordre et de bouleversement. Une prophétie qui court dans le pays annonce qu’un Secundinus possédera l’empire. Moi-même j’avais cru un jour que peut-être… Mais, c’en est fait, je me suis compromis pour une cause perdue ; toi, mon fils chéri, mon seul fils, tu es jeune, rien ne t’arrête ; marche donc avec courage dans la route où je suis tombé ; marche aux honneurs, à la renommée, à la puissance ; courage, Lucius ! sois plus heureux que ton père.

Lucius fut touché de l’exhortation paternelle, mais ces paroles n’excitèrent pas en lui les sentimens ambitieux que Macer espérait avoir fait naître. Il reprit avec un accent affectueux et mélancolique :

— Je ne veux pas abuser votre tendresse, ô mon père chéri ! La carrière des honneurs ne tente point mon indolence, ou, si vous voulez, ma faiblesse. Que sont-ils aujourd’hui, ces honneurs qu’on se dispute si ardemment ? Une frivole parure aussi vaine, aussi fragile, et moins légère à porter, ajouta-t-il en souriant, que cette couronne de fleurs que je viens de poser sur mes cheveux, et que le vent qui nous entraîne effeuille dans l’onde. Les honneurs de la curie sont un embarras pesant et un impôt onéreux ; les fonctions du préteur, une servitude ornée. Méritent-elles un effort ou même un désir, ces dignités de préfet du prétoire ou même de consul, titres dérisoires qu’on prodigue sans discernement, qu’on a vu Gratien donner à son pédagogue, comme il plut à Caligula de déclarer son cheval consul ?

— Comparer le disert, l’ingénieux Ausone, la fleur des rhéteurs d’Aquitaine, au cheval de Caligula ! interrompit douloureusement Capito.

— Quant à la guerre, je vous l’avoue, je suis un peu trop accoutumé aux loisirs élégans, aux plaisirs du cirque et de l’amphithéâtre, aux banquets et aux chants prolongés dans la nuit, pour me soucier