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Il était lié avec Fox ; mais il lui en voulait de s’être uni au duc de Newcastle, et au chancelier, de travailler, de réussir peut-être à les sauver. Il n’aimait pas le rival de Fox : mais Pitt le vengeait de Newcastle et du chancelier, et lui donnait le plaisir d’entendre éclater sur la tête des anciens ennemis de son père les foudres qui avaient abattu sir Robert. Puis il admirait l’art et le talent, et ses ressentimens ne tinrent pas contre son admiration. Dans les derniers débats, un jeune homme, Gerrard Hamilton, avait débuté par un discours remarquable qu’il n’égala jamais et qui l’a fait appeler Hamilton au seul discours (single-speech). Walpole lui donne de grands éloges en écrivant au général Conway, et il ajoute :


« Vous demandez : Que pouvait-il y avoir au-dessus ? Rien, hormis ce qui a été au-dessus de tout ce qui fut jamais, et c’est Pitt. Il a parlé après une heure du matin et pendant une heure trente-cinq minutes, et cela avec plus de verve, d’esprit, de vivacité, de beau langage, de hardiesse, bref d’étonnantes perfections, que vous-même, qui êtes habitué à lui, ne le pouvez imaginer. Il n’a pas été injurieux, et cependant il a été agressif de tous les côtés ; il a ridiculisé milord Hillsborough, mis en croix le pauvre sir George (Lyttelton), terrifié l’attorney général, flagellé milord Granville, décrit milord de Newcastle, attaqué M. Fox et même remonté jusqu’au duc de Cumberland… »

« Pitt s’est surpassé lui-même, écrit encore Walpole à Bentley, et je n’ai pas besoin de vous dire qu’il a surpassé Cicéron et Démosthène. Quelle figure feraient-ils avec leurs oraisons de cabinet, formalistes, travaillées, vis-à-vis de sa mâle vivacité et de son écrasante éloquence ?… Ses antagonistes s’efforcent de le désarmer ; mais, aussitôt qu’ils lui enlèvent une arme, il en trouve une meilleure ; je ne l’aurais jamais soupçonné d’avoir un arsenal universel. Je lui savais une tête de Gorgone composée de baïonnettes et de pistolets ; mais je ne pensais guère qu’il put toucher mortellement avec une plume. Lors du premier débat sur ces fameux traités, mercredi dernier. Hume Campbell, que le duc de Newcastle avait retenu comme l’avocat le plus outrageant qu’il pût lancer contre Pitt (et plus tard peut-être contre Fox), attaqua le premier pour ses éternelles invectives. Oh ! depuis la dernière philippique, de mémoire de Billingsgate[1], vous n’avez rien entendu de pareil à l’invective par laquelle Pitt a répondu. Hume Campbell était anéanti. Pitt, comme une guêpe irritée, a paru laisser son aiguillon dans la plaie, puis il a pris un style de moquerie et de repartie délicate. Mais songez combien il faut que le ridicule soit manié avec agrément pour se soutenir et s’élever d’attaque en attaque pendant une heure et demie ! Un jour ou l’autre, vous verrez peut-être quelqu’un des traits brillans que j’ai recueillis. J’ai écrit sous sa gravure ces vers : « Trois orateurs séparés par des siècles ont illustré la Grèce, l’Italie et l’Angleterre ; le premier l’emportait par l’élévation de la pensée, le second par le langage, mais le dernier par l’une et l’autre. La puissance de la nature n’avait su aller plus loin. Pour faire le troisième, elle a réuni les deux premiers. »

  1. Rue de Londres près de la Tamise, que l’on cite, comme à Paris les halles, pour le langage violent et injurieux.