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c’est le cabinet qui avait mal défendu Port-Mahon. Mais un peuple irrité demandait vengeance, et, comme sa colère pouvait se porter de l’homme de guerre sur les anciens ministres, ceux-ci étaient les plus ardens à l’accuser : il leur fallait qu’il fût coupable pour ne pas le devenir eux-mêmes. Le roi, très sensible à l’honneur de ses armes, ne voulait pas le déclarer compromis par la faute d’un cabinet auquel il s’était associé, et répugnait visiblement à la clémence. Quoique les deux chambres sentissent bien avec quel emportement Byng était poursuivi et peut-être jugé, elles n’osaient résister ; l’ancienne majorité tenait à épargner aux ministres qu’elle avait soutenus la responsabilité d’une défaite. Les nouveaux ministres craignaient de se compromettre en bravant, pour sauver un malheureux, l’opinion du public et celle du roi, les calculs de la majorité et ceux de leurs prédécesseurs ; ils avaient peur de paraître se a enger de leurs ennemis en écoutant la justice et l’humanité. Déplorable exemple du rôle cruel que l’esprit de parti peut jouer dans les questions d’où il devrait être le plus sévèrement banni ! Affranchi de ces tristes ménagemens, Walpole se jeta avec ardeur dans toutes les démarches qui tendaient au sursis ou à la grâce, et ce n’est pas sa faute si son dévouement à cette œuvre d’humanité fut, d’une manière sanglante, déçu par l’événement.

On trouvera que nous nous arrêtons trop long-temps à la politique, mais par là encore nous faisons connaître Walpole, car nous puisons tout dans ses lettres et dans ses mémoires : nos jugemens sont les siens, et nous ne parlons que d’après lui.

Ces violences cependant n’étaient pas faites pour le réconcilier avec la guerre. Il commença par la maudire, et déclama, tant qu’il le put, contre les fureurs héroïques ; mais quand il vit la victoire couronner les hardis desseins du cabinet, de vastes conquêtes s’accomplir coup sur coup dans toutes les parties du monde, le pays s’enorgueillir de son gouvernement, et à sa tête un ministre fier, audacieux, heureux dans ses conceptions et dans ses choix, célébré par la marine et par l’armée, glorifié par une nation reconnaissante de la gloire qu’elle lui devait, conduire, du sein d’un parlement unanime et silencieux, sa patrie au faîte de la grandeur, il céda à l’enthousiasme universel, et finit par croire aussi que la nation britannique était le peuple romain des temps modernes. « Vous avez, dit-il à sir H. Mann, laissé votre patrie une petite île, qui vivait de ses ressources ; tous la retrouveriez la capitale du monde, et, pour parler avec l’arrogance d’un Romain, vous verriez la rue de Saint-James remplie par la foule des nababs et des chefs américains, et M. Pitt, entouré, dans sa ferme de la Sabine, de monarques de l’orient et d’électeurs du septentrion, qui attendent, pour avoir audience, que la goutte ait quitté son pied… Ce serait une honte que d’attribuer notre splendeur à rien qui ne fût M. Pitt. »