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persuader, car il s’attachait à maintenir le bon accord entre deux frères, dont l’un servait le pouvoir, et l’autre l’opposition. Cette partie très remarquable de sa correspondance, publiée séparément en 1825, a été un des meilleurs fondemens de sa réputation épistolaire.

Dans une lettre du 27 janvier 1765, il dit à lord Hertford, en lui envoyant un livre : « Ce roman est fort en vogue. L’auteur n’en est pas connu ; mais, s’il arrivait que vous ne l’aimassiez pas, je vous donnerais une raison qui vous prouverait que vous n’avez pas besoin de le dire. » Cette raison, c’est qu’il en était l’auteur. Le Château d’Otrante parut d’abord comme une histoire traduite par William Marshal, d’un original italien d’Onuphrio Muralto, chanoine de l’église de Saint-Nicolas d’Otrante ; mais il eut un assez grand succès pour que l’auteur jetât bientôt le masque, et c’est assurément celui de ses ouvrages qui l’a le mieux placé dans l’histoire littéraire de son pays. C’est le produit d’un rêve. Une nuit, à Strawberry-Hill, il se sentit transporté dans un vrai château gothique, et crut voir s’agiter du haut d’une balustrade une tête gigantesque couverte d’un casque ; poursuivi de cette image, il l’introduisit dans le merveilleux d’une histoire de chevalerie, où il se proposa de mêler les sentimens naturels aux événemens mystérieux des âges de crédulité. Il avait très bonne opinion de cet ouvrage, celui de tous qu’il eut le plus de plaisir à composer, du moins il le dit à Mme Du Deffand, et ne cache pas qu’il le regardait comme une création d’un genre nouveau. Au reste, l’admiration que ce roman inspirait à lord Byron répondait aux espérances de l’auteur, et Walter Scott, qui lui a fait l’honneur d’être son biographe, trouve dans le Château d’Otrante une fable bien conçue, des caractères bien tracés, des effets sublimes, un style excellent. Nous qui ne sommes ni poète ni romancier, nous demanderons à être moins indulgent. L’auteur de Waverley peut distribuer librement des lots magnifiques dans ce vaste domaine de la fiction qu’il a parcouru tout entier. Guillaume-le-Conquérant, partageant l’Angleterre à ses vassaux, ne craignait pas plus que lui d’y perdre son royaume. Le Château d’Otrante est un ouvrage de bon goût et de bon sens, où l’on ne trouve ni l’entortillage de sentimens ni les couleurs fausses de la chevalerie de convention. L’auteur fait un effort sincère pour se placer dans les croyances du moyen-âge, et pour composer un récit moitié légende, moitié conte de fée, qu’un jongleur put raconter au foyer des nobles dames. Le merveilleux, médiocrement inventé, est présenté simplement et sans exagération dans les moyens de terreur. Le dialogue est raisonnable, passablement spirituel, et le style nous semble naturel et élégant ; mais une vive imagination, mais une forte conception des caractères, mais une reproduction animée des mœurs du temps, mais un art véritable de raconter et de peindre, où trouver tout cela dans ce récit d’une