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On ne saurait croire à quel point ces processions sont chères aux Indiens, combien elles captivent leur imagination, lente à s’émouvoir, et raniment leur foi, bientôt chancelante, si le christianisme, dépouillé de sa pompe et de sa poésie, cessait de parler à leurs yeux. Avant d’avoir observé de plus près ces peuples simples, avant d’avoir étudié leurs besoins, le degré d’avancement moral dont ils sont susceptibles, ne dédaignez point trop l’empire de ce culte qui ne les assujettit encore qu’à ses pratiques extérieures. N’est-ce point d’ailleurs un beau spectacle que celui des vainqueurs et du peuple conquis confondus dans une commune adoration? La conquête n’en devient-elle pas plus indulgente, le joug plus léger, la soumission plus honorable? Et puis l’Indien n’est point fait pour les impressions profondes ni pour les aspirations sublimes: il est frivole dans sa foi, parce que la frivolité est toute sa nature. S’il sort un instant de son apathie, c’est pour réjouir ses yeux par la vue de l’or qui brille, des plumes qui ondoient, des cierges qui s’allument; c’est pour prêter une oreille ravie à l’éclat des instrumens de cuivre ou à la voix grave des orgues mêlant leur harmonie à la mélodie des saints cantiques. C’est sa fibre impressionnable plutôt que son cœur qui a proclamé le Dieu vivant : il croit néanmoins, et cette religion superficielle lui sert presque de frein, lui tient lieu de morale, lui fait une société où nul de ses droits n’est compromis ni méconnu.

L’Indien n’est point né affectueux. L’amour même ne tient pas dans sa vie la place que devrait assurer à ce sentiment une nature ardente et voluptueuse. Le seul stimulant qui puisse arracher le Tagal à son indolence, c’est le jeu. Voyez cet homme du peuple dans les rues de Manille, assis sur ses talons, habituant le coq qu’il tient entre ses bras au bruit de la chaussée, à la vue des passans. Ce coq est le champion qu’il prépare au combat, sur la valeur duquel il engagera ses modestes économies de la semaine. Dès qu’il le croira suffisamment aguerri, il armera ses ergots de lames affilées et le présentera dans l’arène. Le gouvernement espagnol ne défend pas aux Indiens ce barbare plaisir. Sans l’attrait du jeu, comment obtiendrait-il de leur mollesse un travail volontaire? Le fisc retire 14 ou 15,000 piastres par an des droits qu’il prélève sur cet amusement favori. Entrez le dimanche, au sortir de la messe, dans la gallera; admirez avec quelle ardeur tous ces Indiens jettent leurs piastres au milieu du cirque! Al blanco! io voy al blanco! — Je parie pour le blanc, je parie pour le noir! — Quiere usted apostar? me disait un jour un Indien demi-nu en me tendant six piastres fortes. Si encore l’émotion de ce combat était de quelque durée! Mais on met deux coqs face à face; ils baissent la tête, s’élancent l’un sur l’autre, et en un instant un des champions est éventré. Quelquefois cependant la lutte se prolonge; on se passionne alors pour l’un des