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qui en avait compris tous les devoirs et toutes les exigences, combien de cruels mécomptes n’eut-il point à subir! C’est à lui qu’il faudrait demander si l’affluence des capitaux, si les primes d’encouragement suffiront à développer les ressources naturelles de l’archipel espagnol?

Les lois aux Philippines ont été faites dans l’unique intérêt des Indiens. Il semble que la conquête n’ait eu lieu, que l’occupation ne se perpétue que pour conduire le Tagal au ciel par un chemin de fleurs. Tout individu qui défriche une terre inculte ou abandonnée en devient propriétaire. Il transmet ce droit de propriété à ses descendans, qui ne le perdent que le jour où ils cessent de cultiver le bien patrimonial. La jouissance de la terre n’entraîne le paiement d’aucun impôt. L’Indien verse chaque année, entre les mains du cabeza de barangay, le montant d’un tributo, taxe personnelle qui s’élève à peine à 10 francs par famille, à 2 francs par tête. À ce prix, il est complètement libéré envers le trésor public : ainsi cet heureux mortel peut posséder tous les avantages de la propriété sans en subir les charges; il lui suffit de quelques heures de travail pour assurer sa subsistance et acquitter ses impôts. Sa femme file et tisse le coton ou la piña destinés à ses propres vêtemens et à ceux de la famille. Quel besoin cet Indien, s’il n’est ni joueur ni ivrogne, peut-il donc avoir d’un salaire? Je suppose cependant que, rendu nécessiteux par ses passions, séduit par l’attrait du gain, le paysan tagal cède à des instances réitérées, et consente à tracer un sillon dans un autre champ que le sien : qui pourra garantir au propriétaire que ce concours inconstant ne lui fera point défaut au moment décisif? Qui pourra lui promettre qu’au jour de la moisson les bras qui ont confié la semence à la terre ne se refuseront point au labeur de la récolte? Le code des Indes n’a imposé aux habitans des Philippines l’obligation du travail qu’autant qu’il l’a fallu pour les sauver de la famine. Si la sécheresse menace la récolte des rizières, c’est le rotin à la main que les gobernadorcillos et les alguaciles font semer le maïs, qui ne trompe jamais l’espoir du cultivateur; mais, à l’exception de ces cas extrêmes et de quelques corvées indispensables, l’Indien dispose de son temps et de sa personne comme il lui convient. Le législateur a voulu que, sous aucun prétexte, il ne pût être attaché à la glèbe. Aux yeux de la loi, le Tagal n’est qu’un mineur : les obligations qu’il souscrit ne l’exposent à aucune poursuite; les engagemens qu’il contracte n’enchaînent pas son indépendance. Il est libre dans toute l’acception du mot, quand bien même il consentirait à ne plus l’être. L’imprévoyance et la simplicité de la population indigène ont été ainsi placées hors de l’atteinte des spéculateurs européens ou chinois. Le code des Indes, depuis la première page jusqu’à la dernière, n’est qu’un monument de sollicitude paternelle. Il témoigne des tendances désintéressées qui présidèrent à la