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où la culture du blé ait pu réussir. Il ne faut point chercher d’autre exemple de la variété des produits qu’on pourrait demander à ce sol inépuisable. L’île de Luçon peut rendre la Chine et l’Europe tributaires de son industrie agricole ; elle se passerait aisément de leur secours.

Le curé de Santo-Tomas nous accueillit comme des amis qu’on a craint de ne plus revoir. Nous avions été un événement dans sa vie paisible et uniforme. Il avait inscrit dans la nôtre une dette de reconnaissance. A sa voix, quand nous le quittâmes, le gobernadorcillo et les alguaciles saisirent leur salacot couronné du bouton d’argent et enfourchèrent leurs poneys. Nous fûmes accompagnés par cette escorte jusqu’aux contins de la paroisse. Arrivés au poteau qui en marquait la limite, les autorités de Santo-Tomas laissèrent aux officiers municipaux de Calamba l’honneur de nous escorter à leur tour. Comme la renommée, nous avions grandi en voyageant. Chacun de nos pas soulevait autour de nous un cortège; les femmes, les enfans se pressaient sur le seuil des portes; les singes accouraient du fond de la forêt pour nous voir. Nous fîmes une rentrée splendide dans Calamba. Le frère lai auquel les dominicains ont confié le soin de gérer leur domaine ne voulut point laisser au pauvre curé indien le soin de nous recevoir. Son urbanité ajouta de nouvelles obligations à celles que nous avions contractées déjà. Quand le soleil reparut sur l’horizon, les rivages de Calamba étaient loin de nous, et le soir même nous arrivions à Manille.

Nous avions visité les provinces qui s’étendent au sud et à l’est de la capitale. Il nous restait à parcourir celles qui se développent vers le nord, entre la grande chaîne des montagnes de Luçon et le bord de la baie de Manille. Ces provinces méritaient à elles seules une nouvelle expédition. Ici;, plus de bancas, plus de faluas de la douane, mais d’honnêtes birlochos qui franchissaient les fleuves sur des ponts de bambou et roulaient avec la rapidité d’un wagon sur un chemin de fer. Cette dernière tournée, qui nous conduisit à travers les provinces de Tondo et de Bulacan, ne nous montra point seulement d’admirables campagnes : elle nous fit connaître le plus haut degré de félicité et de bien-être auquel, si je ne me trompe, puisse atteindre la race malaise. Dans la province de Tondo, la population est peut-être trop agglomérée; les nombreux et florissans villages qu’elle renferme ne sont pour ainsi dire que des faubourgs de Manille. Dans les campagnes de Bulacan, on se croirait transporté aux jours de l’âge d’or. Les plaines sont couvertes de moissons, la moindre case est entourée d’un verger, et partout cependant la population se repose. Vous ne voyez que les fruits du travail, vous n’en pouvez saisir l’effort. Les sauvages dans leurs îles fécondes sont souvent décimés par la famine : un ouragan renverse leurs arbres à pain, déracine ou frappe de stérilité leurs cocotiers; ils ont à subir les cruautés superstitieuses de leurs chefs. Le