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étaient des Francs qui avaient été surpris et faits prisonniers dans une expédition récente. Le bruit de l’approche de leurs frères avait pénétré jusqu’à eux ; ils lisaient leurs progrès sur les fronts épouvantés des employés de l’amphithéâtre ; ils contemplaient avec joie l’attitude inquiète des magistrats et jusqu’à la fiévreuse ardeur du peuple. Immobiles, ils semblaient chercher de l’œil la flamme de quelque signal allumé sur les montagnes et prêter l’oreille à des rumeurs lointaines ; puis ils se couchèrent au milieu de l’arène, promenant des regards farouches sur les spectateurs. La multitude, furieuse de voir ainsi différer ses plaisirs, indignée de la désobéissance inaccoutumée de ces gladiateurs, qui se faisaient attendre pour mourir, leur prodigua la menace et l’outrage. Les huées, les sifflets retentirent, et, de la colline à laquelle étaient adossés les gradins de l’amphithéâtre, on fit pleuvoir sur eux des pierres, du sable et de la boue. Le Barbare ne sut jamais supporter l’opprobre. Les Francs se levèrent d’un même bond : les deux troupes qui devaient combattre l’une contre l’autre, et qui s’étaient réunies, se séparèrent, et, frappant sur leurs boucliers, s’apprêtèrent au combat ; mais, au moment de le commencer, on les vit, entraînées toutes deux par un mouvement inattendu, s’élancer l’une vers l’autre, et chaque gladiateur saisir et serrer la main de son adversaire, puis reculer de quelques pas pour revenir fondre sur lui. Cette mêlée fut terrible. Les Barbares semblaient transportés d’une joie sauvage et d’une rage désespérée ; ils semblaient dire : « Combattons et mourons ; cette fois, nous serons vengés. » Jamais gladiateurs ne s’étaient heurtés plus rudement. Le peuple était transporté. Son ivresse sanguinaire redoublait avec l’ivresse belliqueuse des combattans ; eux et lui étaient comme enveloppés d’un vertige de sang, et ne s’apercevaient pas que la nuit approchait. Soudain des bruits terribles furent entendus, et l’on vit dans le crépuscule une bande de Francs courir sur les hauteurs qui dominaient l’amphithéâtre. Les préposés à l’office des jeux s’enfuirent, le peuple se leva tout entier sur les gradins, pâle et muet d’effroi. Les Francs de l’arène, cessant leur combat, répondirent par un cri aux cris que leurs frères poussaient dans la montagne : s’élançant par-dessus les barrières, qu’on ne gardait plus, ils se ruèrent dans le podium, place d’honneur réservée aux magistrats, et commencèrent à les égorger. En ce moment, le ciel, que brunissaient les premières ombres du soir, s’éclaira de lueurs sinistres : c’étaient les reflets que jetait Trêves incendiée. À cet aspect, le peuple, arraché à la consternation par le désespoir, voulut s’échapper ; mais les Francs avaient mis le feu à l’amphithéâtre et l’entouraient. Alors se confondirent les gémissemens lamentables des citoyens, les cris de guerre des Barbares et les hurlemens des bêtes féroces, qui brûlaient dans leurs souterrains ou bondissaient au travers du feu. Au bout de quelque temps, tous ces bruits avaient cessé. Les