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soumise ne peut te désobéir et te résister ; mais permets-moi de mourir ici avec mes sœurs et avec toi. Dieu ne nous commande point cette séparation ; sois miséricordieux comme lui. Oh ! grâce, Maxime, fais grâce à Priscilla ! — Il y avait une expression passionnée dans ces paroles par lesquelles une pauvre femme éplorée suppliait qu’on lui permît de mourir, et Maxime hésitait à la contrister par un refus.

En ce moment, un jeune lévite couvert de sang entra dans l’église : c’était un orphelin qui avait perdu ses parens quinze ans plus tôt à la prise de Cologne, et qu’avaient adopté Maxime et Priscilla. Maxime fondait les plus grandes espérances sur ce jeune homme, déjà remarquable par l’ardeur de sa piété et la fougue de son éloquence. Il avait traversé les hordes de Barbares, et, blessé légèrement, il venait rejoindre ses parens adoptifs pour mourir avec eux. En le voyant paraître, Priscilla, comme par une inspiration subite, s’écria : — Voilà celui qu’il faut sauver, voilà celui qui sera un jour une des palmes de l’église ! Sa langue sera une de ces langues de feu qu’allume l’Esprit saint pour éclairer et embraser les cœurs ! Mon père, laissez-moi mourir avec vous, et conservez Salvien ! — Eh bien ! dit Maxime, vaincu par l’ardente prière et l’accent prophétique de Priscilla, qu’il soit fait selon le généreux désir de ma sainte sœur ! Que le jeune espoir de l’éloquence chrétienne vive pour édifier et orner l’église par sa parole, et nous, vieux et inutiles serviteurs de Dieu, soyons unis par la gloire et par la félicité du martyre !

Salvien, à son tour, ne voulait pas s’éloigner de ses frères ; mais cette fois Maxime éleva la voix avec une imposante autorité, et le jeune lévite n’osa pas résister à cette voix puissante. Après avoir reçu en sanglotant la bénédiction épiscopale de Maxime et la bénédiction maternelle de Priscilla, il s’apprêtait à sortir par la porte secrète. Tout à coup, avant d’en franchir le seuil, il s’arrêta, et, comme saisi de l’esprit de Dieu, il s’écria d’une voix tonnante : Eh bien ! oui, je pars, puisque mon père vénérable l’ordonne ainsi ; moi dont le berceau a été trempé de sang, moi qui aujourd’hui encore ai senti dans ma chair le fer des Barbares, je vivrai, si le Seigneur le veut ainsi, pour flageller de ma parole les chrétiens déchus, dont les péchés ont fait couler ce sang, ont suscité ces Barbares. Je dirai les corruptions de l’église, je raconterai les turpitudes de la société romaine, et l’on comprendra pourquoi Dieu livre le monde aux hordes féroces de l’aquilon ! mon Dieu ! quand leur fureur renverse tes temples et immole tes saints, on ne peut s’expliquer tes voies, et les faux sages, nourris des traditions de la philosophie païenne, nous disent : où donc est la providence de votre Dieu ? Cette providence, ô insensés ! elle remplit le ciel et la terre, elle gouverne le désordre apparent du monde comme elle règle les tempêtes ; elle éclate dans le mal comme dans le bien ; elle brille dans la foudre comme dans le soleil ; c’est elle qui est allée chercher les