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populations urbaines. J’entends beaucoup parler de la rapide fondation des villes en Amérique et de leur multiplication : cette rapidité est moins grande qu’on ne le croit, le nombre des villes qui se fondent est même peu considérable, si l’on considère les immenses territoires que possède l’Union; mais les villes déjà existantes tendent à prendre un accroissement formidable. Telles sont les villes de l’état de New-York, les villes des états de l’ouest entre mille, et, pour prendre un exemple, Chicago, la capitale des prairies. Il y a quelques années à peine, les loups hurlaient autour des maisons éparses bâties sur les bords de l’Illinois, et maintenant ces maisons se sont multipliées de telle sorte que Chicago compte à peu près de vingt-deux à vingt-cinq mille habitans. C’est surtout dans l’ouest que cet accroissement est le plus sensible; pourquoi? Le lieutenant-colonel M. Arthur Cunynghame, qui, dans sa rapide excursion à travers les États-Unis, a su saisir parfaitement la cause de bien des singularités, nous en fait très bien sentir les raisons. Autrefois les émigrans se rendaient dans la prairie un peu au hasard; sans s’inquiéter beaucoup de la valeur des terres qu’ils achetaient et de leur position, ils allaient au meilleur marché, et prenaient le lot de terre qui leur coûtait le moins d’argent. Bientôt pourtant ils s’aperçurent qu’isolés, loin des villes, ils se trouvaient sans secours, sans soutiens, sans débouchés pour leurs produits, et que le bon marché, au lieu de les enrichir, les ruinait. Aussi recherchent-ils davantage aujourd’hui les lots qui sont situés à peu de distance des villes, bien que le gouvernement les leur fasse payer un prix beaucoup plus élevé. Ce rapprochement des populations agricoles tend naturellement à accroître les villes par l’importance qu’il leur donne. Quels résultats aura pour l’avenir politique de l’Union cet agrandissement rapide des villes? cela est facile à prévoir. A mesure que la démocratie se concentrera dans les villes, le pouvoir passera des populations agricoles aux populations urbaines, et par conséquent l’état devra se transformer. Dans notre Europe, cet accroissement des villes a fait tomber l’aristocratie féodale et a donné naissance à la démocratie; aux États-Unis, il pourrait bien avoir le résultat opposé et faire passer forcément l’état du régime démocratique illimité à un régime plus restreint et à une sorte d’aristocratie civile et militaire.

L’influence que l’émigration exerce sur l’accroissement de la richesse aux États-Unis a bien aussi son importance. Tous les petits pécules amassés lentement dans la vieille Europe pour fuir la misère viennent se dépenser aux États-Unis. Le voyage de New-York et de Buffalo au far west, le séjour forcé dans les villes, l’achat des objets de première nécessité, le prix payé à l’état pour l’achat de la terre, dépouillent rapidement l’émigrant de ses faibles économies, et la plupart du temps il arrive au lieu de sa destination dans l’ouest les poches complètement