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rétréci ni élargi l’horizon de sa pensée. Habitué de bonne heure à imiter les œuvres qu’Athènes et Rome nous ont léguées, il avait fini par ne plus comprendre l’importance de l’invention. Pour lui, l’imagination n’était pas une partie intégrante, une partie nécessaire de la statuaire, et je pourrais même ajouter qu’il comprenait dans cette pensée les trois arts du dessin. Inventer! à quoi bon? pourquoi courir les aventures? pourquoi se mettre à la poursuite de l’inconnu? Les anciens n’ont-ils pas laissé des modèles dans tous les genres? N’ont-ils pas tenté toutes les voies, traité tous les sujets vraiment dignes d’attention? Ramenée à sa plus simple expression, réduite à sa formule la plus précise, c’est là, si je ne m’abuse, la doctrine de Pradier, car cette doctrine se retrouve dans toutes ses œuvres. Il est vrai que dans les vingt dernières années de sa vie il s’est préoccupé de la nature plus souvent que dans les vingt années précédentes, il est vrai qu’il s’est plus d’une fois efforcé de reproduire jusqu’aux moindres détails de la réalité; mais lors même qu’il réussissait à copier fidèlement le modèle, ce n’était pas dans l’imitation littérale qu’il fallait chercher la clé de son œuvre. Ce n’était pas l’amour de la réalité qui l’inspirait, ce n’était pas l’étude du modèle qui lui dictait le choix du mouvement et des lignes. Un esprit vigilant retrouvait sans peine l’origine et le type de l’œuvre que Pradier venait de signer. L’imitation de la réalité, loin d’ajouter à cette œuvre un prix nouveau, en troublait l’harmonie; car les mouvemens et les lignes étant dérobés à la Grèce, la main ou le bras, la cuisse ou l’épaule, copiés d’après les modèles qui se rencontrent sous le ciel de la France, s’accordaient rarement avec la volonté de l’artiste grec. Tout en applaudissant à l’habileté singulière du statuaire français, les hommes clairvoyans étaient forcés de condamner la réunion violente de l’idéal et de la réalité. Ainsi l’amour ardent qu’il avait conçu pour la nature dans le dernier tiers de sa vie n’avait pas changé les habitudes de son esprit ; la doctrine qui présidait à ses travaux était demeurée ce qu’elle était lorsqu’il vivait dans l’étude exclusive du passé. Il essayait de greffer la nature sur l’antique, mais ne songeait pas à tenter la voie périlleuse de l’invention : à son insu ou à bon escient, il obéissait toujours à la même formule.

Il n’aimait pas Michel-Ange et s’en vantait comme d’un trait de sagesse. Il ne voyait dans les admirables figures de la chapelle des Médicis à Florence que des œuvres dangereuses pour ses élèves, et n’hésitait pas à blâmer la plupart des moulages faits en Italie par les soins du gouvernement français. Et je ne par le pas ici légèrement, d’après des on dit plus ou moins contestables; ce que je raconte, je l’ai entendu plus d’une fois. L’Aurore, le Crépuscule, le Jour et la Nuit, placés aujourd’hui dans une salle de l’École des Beaux-Arts, n’avaient aucune valeur aux yeux de Pradier. Il allait même jusqu’à traiter