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il dit à demi-voix : Pauvres nymphes qu’on a chassées de votre demeure pour mettre à votre place je ne sais quel Dieu invisible et quel sage crucifié, pauvres nymphes, je vous regrette ! Vous étiez plus gaies et plus gracieuses que ces jeunes femmes que les chrétiens peignent sur les murs de leurs temples, plongées dans la poix bouillante ou décollées par le glaive… Aimables exilées, adieu. Je prie Écho, votre sœur, qu’en fuyant vous avez laissée dans votre antre sonore, de vous murmurer tout bas mes adieux.

Les voilà donc l’une à côté de l’autre ces deux religions qui se sont Disputé le monde ! ajoutait-il en regardant tour à tour la chapelle et le bois sacré. Eh bien ! l’une a triomphé ; elle est sur le trône, elle est partout, et l’autre, après avoir reçu les hommages des plus beaux siècles et des premières nations de l’univers, est maintenant foulée aux pieds comme une statue mutilée qui gît dans la poudre… Pourquoi cela ? Parce que le temps de cette foi est fini, parce que l’homme se lasse un jour de croire et d’adorer. La foi nouvelle a produit de grandes choses et de grands hommes ; mais combien durera-t-elle ? Déjà elle se divise et s’altère ; déjà l’on peut prédire sa chute prochaine. C’est une mode qui passera bientôt dans l’empire, et alors qui viendra la remplacer ? L’homme doit-il donc aller toujours de l’erreur au doute et du doute à l’erreur ? Oh ! si quelque antre, quelque trépied fatidique pouvait révéler la mystérieuse vérité ! Où est la sibylle ou la pythonisse, la prêtresse de Délos ou la magicienne de Thessalie qui m’apparaisse dans les ténèbres du sanctuaire ou sous les ombres d’une forêt pour m’enseigner ce que j’ai long-temps brûlé de savoir et que je désespère d’apprendre ?

En prononçant ces paroles, Lucius pencha mélancoliquement son beau visage ; ses cheveux flottans se répandirent sur son front comme un voile de deuil. Quand il leva les yeux, Hilda était devant lui. Elle s’avançait lentement, le regard baissé, portant avec la grâce de la force une grande quantité de laine blanche sans que son col fléchît sous le fardeau ; on eût dit une belle caryatide animée. Elle était déjà tout près de Lucius quand elle l’aperçut ; elle s’arrêta sur le bord d’un étroit sentier pour le laisser passer, en s’inclinant légèrement et sans lever les yeux vers lui.

— Jeune esclave, lui dit Lucius avec un son de voix d’une caressante douceur, tu es diligente comme l’abeille de l’Hymette qui voltige sur les fleurs dès le matin ; à peine le soleil est levé, que déjà tu as repris tes travaux. Je dirai à l’intendant que je te permets de prolonger davantage ton sommeil, de peur que la fatigue n’altère tes beaux yeux et ne pâlisse tes joues de rose.

— Jeune maître, je te rends grâce ; mais je suis de la race des Francs, qui est dure à la fatigue ; l’esclave doit ne rien retrancher de la tâche qui lui est imposée, afin que, l’accomplissant avec zèle, elle obtienne