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point varié, et la mission de l’escadre était de les faire triompher. Là était pour elle la ligne du devoir. Alors comme huit mois auparavant, il fallait empêcher la Sicile de devenir anglaise ; pour cela, il fallait que le roi Ferdinand y rétablît son autorité, et, pour qu’il l’y rétablît, il fallait qu’il commençât par être maître à Naples. Ainsi raisonnaient nos marins sous la double inspiration du bon sens et de l’honneur national, lorsque, dans la néfaste journée du 15 mai, Naples vit éclater en ses murs une formidable insurrection.

L’agent du gouvernement français (je ne l’appellerai pas le ministre de France), pour qui le seul but à poursuivre était d’assurer le triomphe populaire, accourut aussitôt à bord de l’escadre, pressant l’amiral, le sommant même de tourner ses canons contre le palais du roi, et de donner ainsi aux barricadeurs calabrais l’éclatant et public appui de la France. Le moment était décisif : l’amiral Baudin n’avait qu’à faire un geste, et le trône du roi Ferdinand volait en éclats. Ce geste, il refusa de le faire. Pour résister aux sommations impérieuses de l’agent de la république, il avait derrière lui l’opinion de l’escadre, cette opinion juste, éclairée, toute-puissante. Outre la raison politique que chacun sentait, officiers et matelots éprouvaient une invincible répugnance à employer leurs armes contre une ville qui avait toujours été pour nous si hospitalière, si affectueuse. Lancer la mort contre des femmes et des enfans pour donner la victoire à l’émeute et aux clubs révoltait en eux tous les sentimens de l’homme et du marin. L’escadre ne bougea pas ; elle ne brûla pas une amorce, ne débarqua pas un homme, et son immobilité fut pour les troupes napolitaines une tacite assistance qui releva leur courage et les aida à triompher de l’insurrection.

Spectacle étrange en apparence que celui qui fut donné alors ! Le trône du roi le moins populaire de l’Europe venait d’être raffermi par le concours moral de l’escadre de la république française ! Cependant, pour qui voudra regarder au fond des choses, il y a lieu de se demander où était la véritable vertu républicaine, chez ce diplomate révolutionnaire, pour qui c’était tout de renverser un trône, ou chez ces vaillans équipages, pour qui servir et honorer le pays était la règle suprême de leur conduite. À nos yeux et, nous le croyons aussi, aux yeux de tout appréciateur désintéressé et consciencieux, la réponse n’est pas douteuse, et ce qui en ressort avec une égale évidence, c’est que ces grandes leçons d’un patriotisme supérieur aux intérêts et aux passions du jour, d’un dévouement invariable et absolu à la cause du pays, ces leçons de ce que j’appelais tout à l’heure la vertu républicaine par excellence, notre escadre était allée les puiser à l’école de la monarchie constitutionnelle, de ce gouvernement qu’on a beaucoup décrié, mais qui sera vengé par l’histoire. C’est grâce à ces leçons que