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Horace acquit le goût des arts, apprit à aimer la peinture et la musique, et se forma même des idées alors nouvelles sur les genres et les âges divers de l’architecture ; mais il est rare qu’un voyage qui se prolonge laisse parfaitement unis deux amis qui le font ensemble. La monotonie d’un commerce exclusif engendre l’ennui, et la gêne résulte de la nécessité de se concerter toujours. Gray et lui finirent par se brouiller et se séparèrent à Reggio. « J’ai conscience, écrivait Walpole à William Mason trente-deux ans après, que, dans le principe, le tort était de mon côté. J’étais jeune, trop attaché à mes plaisirs, même, je n’en doute pas, trop enivré par l’indulgence, par la vanité et par l’insolence de ma situation de fils d’un premier ministre, pour n’avoir pas manqué de ménagement envers la sensibilité d’un homme que, je rougis de le dire, je savais mon obligé, d’un homme que ma présomption et ma folie m’empêchaient de trouver très supérieur en talons, quoique j’aie depuis lors senti mon infériorité infinie par rapport à lui. Je le traitais insolemment ; il m’aimait, et je ne le croyais pas. Je lui reprochais la différence qui était entre nous, tandis qu’il agissait avec la conviction d’être mon supérieur. Souvent je ne tins aucun compte de son désir de voir tels ou tels lieux, ne voulant pas m’arracher à mes plaisirs pour les visiter, quoique je lui offrisse de l’y envoyer sans moi. Pardonnez-moi de dire que son caractère n’était pas conciliant, en même temps que je conviens avec vous qu’il aurait eu la conduite la plus amicale que j’aurais eu l’idée d’en prendre avantage. Il me dit franchement mes torts ; je déclarai que je n’avais nulle envie de les entendre et que je ne me corrigerais pas. Vous ne serez point étonné qu’avec la dignité de son caractère et la négligence obstinée du mien, la brèche ait dû s’élargir jusqu’à ce que nous devinssions incompatibles. » Mason, qui écrivait la vie de Gray, fut autorisé à y insérer quelques mots dans le même sens, et d’ailleurs, long-temps avant la mort du poète, une réconciliation avait rapproché les deux amis de collège. Quoique l’intimité ne soit jamais redevenue parfaite, car l’un avait beaucoup de raideur et l’autre une certaine irritabilité, la perte de Gray a inspiré à Walpole une de ses lettres les plus touchantes.

C’est à Florence où il résida quelque temps qu’il mena avec le plus de suite et de dissipation la vie du monde. Il y trouva bonne compagnie, des Françaises spirituelles, des Anglais d’un commerce agréable, John Chute, homme de goût et d’esprit, qu’il représente comme très aimable, et M. Mann, plus tard sir Horace Mann, chez lequel il logeait, et qui, en qualité d’envoyé près la cour de Toscane, lui faisait avec empressement les honneurs de la résidence. Sous des titres différens, ce diplomate occupa le même poste jusqu’en 1786, sans revenir en Angleterre. Walpole, qui partit bientôt, ne le revit jamais ; mais il s’était étroitement attaché à lui, et, en revenant en Angleterre, de