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Le travail en fabrique, en retour d’inconvéniens qui lui sont propres, présente des avantages dont profiterait la cité lyonnaise. Disposé comme il paraît l’être à se répandre dans un rayon de vingt à vingt-cinq lieues, il remédierait à une concentration fâcheuse d’intérêts vivant au jour le jour. D’ailleurs, tant que le travail à domicile reste dans des conditions qu’on peut appeler patriarcales, tant qu’il se mêle de près à la vie agricole, s’il ne favorise pas les progrès de la fabrication, il peut conserver du moins parmi les familles des habitudes calmes et régulières; mais quand il devient exclusivement industriel, quand il transforme la demeure de l’ouvrier en une petite fabrique sans règle, et qu’il rassemble sur un même point une multitude d’ateliers placés sous la menace d’alternatives d’activité ou d’inertie qui les bouleversent, il a perdu le caractère originel qui séduisait en lui. Le régime de la grande industrie permet plus facilement de fabriquer à l’avance au moins certaines étoffes et de restreindre ainsi la durée des chômages; de plus, sans impliquer une réglementation absolue qui entraînerait, dans l’état présent de l’industrie nationale, les plus graves embarras, le travail aggloméré s’accommode de certaines mesures disciplinaires, qui sont des garanties de bien-être et de bon ordre. Au point de vue général de l’avenir, il serait donc permis de bien augurer de la modification qui semble attendre sous ce rapport le système actuel; mais, si lente qu’elle doive être, elle n’en constitue pas moins, pour le moment de la transition, une nouvelle cause d’inquiétude.

Une autre circonstance très fâcheuse, c’est que certains tissus communs, tout en laissant au fabricant le bénéfice le plus modique, ne peuvent pas supporter un prix de façon raisonnable qui compense la peine de l’ouvrier et satisfasse à ses légitimes besoins. De semblables articles sont condamnés, sans doute, à disparaître de la circonscription urbaine; mais une industrie ancienne ne se résigne pas à tomber sans lutte. Ceux qui la pratiquent s’y cramponnent comme à leur seule planche de salut. N’a-t-on pas vu un éclatant et douloureux exemple de ces efforts désespérés lors de la substitution de la filature mécanique du lin a l’antique procédé du filage au rouet ou à la quenouille? Les fileuses de certains districts de la Bretagne et du Maine avaient été amenées, de réduction en réduction, à ne plus gagner qu’un sol par jour, et cependant elles essayaient encore de retenir le travail ingrat que leur enlevaient d’impitoyables machines.

En attendant qu’ils soient entièrement abandonnés dans Lyon, les articles les moins productifs reviennent naturellement aux ouvriers les moins habiles ou à ceux dont les ateliers sont le moins bien outillés. « Il suffit qu’on soit dans la gêne, disait devant nous la femme d’un chef d’atelier fort malheureux, pour que les fabricans abaissent encore les prix de façon. » Confusion évidente qui conduisait à une