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papier — des sentimens comme il faut, — et sur un mode harmonieux, — avec un esprit élégant, — donner l’essor à ma voix — pour chanter comme chante — le chardonneret ou le serin! — Mais moi qui jette un cri — qui excède en extravagance — le premier que l’on pousse, — moi pour qui le do, ré, mi ne diffère pas plus du sol, fa — que le sol, fa — du do, ré, mi; — moi qui, bien que poète, — suis un homme aventureux et résolu, — qui marche toujours la veste sur le dos — et la navaja à la main; — moi qui,... mais chut! — l’impresario me persécute. — Je dois écrire quelque chose. — Ce qui importe, c’est l’intention.

« Invoquer les muses est passé de mode. — Le dieu Apollon, le Parnasse — et le bouillant Pégase même — sentent le moisi. — Au XIXe siècle, — nul ne s’émeut — aux récits mythologiques. — Aujourd’hui la véritable logique — est le cum quibus métallique. — Le poète est proscrit, — parce que dans ce siècle positif — on ne vend guère d’autres ouvrages — que le guide de l’année ou le calendrier. — (Hélas! cette idée me dévore, — si personne ne me lisait!) — Malgré tout, l’impresario — fait auprès de moi la grimace — et s’écrie le regard en feu : — Qu’importe tout cela à notre programme? — Vous avez mille fois raison. — J’écrirai quelque chose. — Ce qui importe, c’est l’intention. »


Le grand jour célébré d’avance par ces boutades poétiques se leva enfin, et la population se rua tout entière vers l’alameda qui conduit au cirque des taureaux. Il ne resta dans la ville que les gallinasos, pacifiques gardiens des maisons désertes. La course ne devait commencer qu’à deux heures, et, dès midi, la foule encombrait de ses flots pressés toutes les issues du faubourg. Dans l’alameda, où l’on respirait un peu plus à l’aise, tous les bancs étaient envahis par des tapadas, blasées sans doute sur les émotions du cirque, et venues là pour assister seulement à l’entrée des spectateurs. De cette longue guirlande rieuse, turbulente et fleurie, s’échappaient tour à tour, à l’adresse des cavaliers qui traversaient les allées, des complimens ou des épigrammes, de gracieux saints ou de bruyans éclats de rire. Vers le milieu de l’alameda, on débouchait enfin sur la place del Acho, devant un immense pâté de maçonnerie qui servait d’enceinte au cirque, et dont la foule obstruait les portes. C’était là le but commun; c’est là que je dus pénétrer, non sans force coups de coude donnés et reçus, pour aller m’asseoir dans la loge où quelques amis exacts et prudens avaient bien voulu me garder une place.

L’étrange spectacle auquel j’allais assister devait se distinguer par une physionomie toute péruvienne des combats de taureaux tels qu’on les a mille fois décrits. On jugera par quelques incidens caractéristiques, les seuls que je veuille noter ici, de la fête donnée au cirque del Acho. Le cirque, plus remarquable par ses dimensions que par son architecture, peut contenir plus de vingt mille personnes. On connaît l’ordonnance de ces théâtres populaires de l’Espagne et des pays espagnols. Autour de l’arène, un rang de sombres baignoires;