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portent la veste et le pantalon de velours vert bouteille, la ceinture sang de bœuf et le chapeau noir à larges bords, comme les bouchers de certaines provinces de France. Ils s’inclinent devant le directeur suprême et se retirent ; puis, comme lever du rideau, un bataillon de chasseurs (el glorioso batallon de cazadores, dit le programme) vient exécuter une série d’innocentes manœuvres dont l’ordre et la précision ne rachètent malheureusement pas l’ennui souverain. Aussi le public impatienté demande à grands cris les taureaux, et le glorieux bataillon, sur un signe de l’intendant de police, fait sa retraite au milieu de huées assourdissantes. La comédie terminée, le drame commença.

Les premières courses reproduisirent sans grande originalité tous les incidens ordinaires. Des mannequins terrassés et faisant partir entre les cornes du sauvage agresseur des pièces d’artifice dont les ardentes morsures l’exaspèrent, des chevaux éventrés, des cavaliers poursuivis et déroutant l’animal furieux à force d’adresse et de légèreté, enfin le coup mortel donné à la bête par le desjarretador au bruit des fanfares, la distribution des récompenses faite séance tenante[1], tout cela eût pu se passer en Espagne aussi bien qu’au Pérou. Ce qui nous parut plus essentiellement marqué d’un cachet national, c’étaient les raffinemens étranges qui vinrent çà et là varier la monotonie un peu classique du combat. Je cite au hasard quelques-uns de ces épisodes caractéristiques.

Pendant la première distribution des piastres, un nègre était venu déposer une chaise dans l’arène. Un espada mexicain devait s’y asseoir à vingt pas de la loge du taureau, attendre l’animal à sa sortie et le frapper sans quitter son siège. Quelques instans se passèrent sans que le Mexicain parût, et un mouvement général annonçait l’impatience mêlée d’anxiété avec laquelle la foule attendait sa venue. Enfin il se présenta fièrement dans l’arène comme un premier sujet devant la rampe. Il se fit un profond silence. Une cape rouge s’enroulait autour de son bras gauche, qui, semblable à l’anse d’une urne, s’appuyait solidement à sa hanche ; un petit chapeau noir à bords ronds, orné d’un ruban de velours et de quelques houppes de soie, ombrageait son visage jaune comme le santal, et où brillaient des regards d’aigle. Le Mexicain semblait dans la force de l’âge ; svelte et cambré, il s’avança en se dandinant avec insouciance, comme un homme sûr de lui. Après avoir salué la loge d’honneur, il prit une large épée, en appuya la pointe contre une des colonnettes du templador, la fit ployer dans l’un et l’autre sens, comme pour en essayer la trompe, puis il vint à la chaise, l’examina et l’assura avec un soin méticuleux sur le sol. Cette précaution prise, il s’assit, le pied droit avancé, l’autre sous lui

  1. Les capeadores viennent après chaque course se ranger devant la loge des juges, qui leur jettent des rouleaux de piastres. Le public témoigne alors sa satisfaction en demandant par le cri otro ! otro ! qu’on double, triple ou quadruple la récompense.