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fleurs, une femme se promène au bord d’une mer agitée. Le paysage voisin est sombre, aride, désolé; les branches mortes jonchent le chemin, et deux hommes portant un cercueil traversent une eau dormante. Un profil d’escalier monte du côté de la vie, atteint au sixième degré le point culminant de l’arcade d’où ses marches redescendent en nombre égal du côté de la vieillesse et de la mort; sur chacune des marches, on retrouve la même femme avec les transformations successives que l’âge opère dans sa forme et dans ses penchans. Ainsi, à peine débarrassée des langes de la nourrice, elle commence son ascension et nous apparaît, sur la première marche, jouant avec un oiseau; à dix ans, elle tient une guitare qu’elle remplace, à vingt ans, par les armes de son sexe et de sa profession, qui sont un costume coquet, un bouquet de roses et un éventail. A trente ans, nous la trouvons en parure de mariée; à quarante ans, sa jeunesse lance, sous la forme d’une œillade, son dernier éclair; puis elle gravit la dernière marche, pour redescendre le versant opposé, celui de la morne saison de la vie, triste, sévèrement vêtue, le missel à la main d’abord, plus tard les béquilles. Enfin, le corps plié en deux, la face parcheminée, l’œil éraillé et sanglant, elle mette pied dans un cercueil, qui, placé au bas de la dernière marche, porte le numéro 100.

Le nombre des tableaux exportés au Pérou, sous le régime espagnol, passe toute croyance. Aujourd’hui encore, les murs de certaines églises en sont presque entièrement revêtus, les galeries des cloîtres en fourmillent, et plusieurs particuliers de Lima possèdent, sans trop paraître en tirer vanité, des collections dont feraient certainement parade nos banquiers millionnaires. Si l’on songe en outre aux toiles détruites durant les tremblemens de terre et les discordes civiles, à celles que la négligence a laissé tomber en poussière, à celles surtout qui ont été vendues aux étrangers (celles-là n’étaient sans doute pas les plus mauvaises), on comprendra quel débouché fut pour les ateliers des XVIIe et XVIIIe siècles le riche et florissant Pérou des vice-rois.

La règle des couvens multipliait pour les peintres, — d’accord avec le goût national, — les occasions de se produire. Les monastères étalaient ordinairement sur les murailles de leur principal cloître l’histoire de leurs patrons conventuels. Parmi ces toiles, dont l’exécution remonte de la fin du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe, il ne s’en trouve guère qui soient dignes d’être admirées; néanmoins on pourrait, en dépit de la dépravation du goût et de l’incorrection du dessin, noter un certain talent de mise en scène dans la série de tableaux qui reproduisent la vie de san Francisco, santo Domingo, san Pedro Nolasco et san Felipe de Neri. — Les guerres de l’émancipation et depuis cette époque les discordes civiles ont détourné les esprits de la culture des arts, et ont privé de toute espèce de protection les artistes qu’on