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trop d’emportement, trop de talent peut-être, pour que la froide raison de Walpole aperçût combien il était redoutable, et rendît justice a une supériorité qui différait tant de la sienne.

Walpole avait abusé de sa maxime favorite : Quieta non movere. Il arrive à la longue des momens où le repos semble fatiguer les peuples, où ce qui est tranquille s’agite de soi-même. La paix avait cessé de plaire. Un traité entre l’Angleterre et l’Espagne accordait aux deux nations le droit de recherche en mer des marchandises de contrebande sur leurs navires respectifs. L’exécution toujours difficile, toujours irritante, d’une convention semblable excitait de vives plaintes. Le commerce anglais et surtout la puissante compagnie de la mer du Sud en faisaient grand bruit. On alléguait des iniquités et des violences que ne reconnaissait ni ne réparait la diplomatie fière et indolente du cabinet de Madrid. L’opposition se jeta sur ces griefs et les envenima. Le ministère essaya de pallier le mal par une nouvelle convention, acte incomplet et provisoire qui ajournait les questions à résoudre et qui ne calma aucun mécontentement. L’esprit de parti eut beau jeu pour attiser l’irritation générale. Rien ne fut épargné ; on se servit de toutes armes. C’est l’époque où retentit cette anecdote célèbre que Burke appelait la fable des oreilles de Jenkins. On sait que ce patron d’un sloop de la Jamaïque comparut devant un comité du parlement, et raconta qu’ayant été visité par un garde-côte espagnol qui ne trouva à son bord rien de prohibé, le capitaine, pour se venger, lui avait coupé une oreille et dit de la porter au roi d’Angleterre, ajoutant que, si sa majesté était là, il la traiterait de la même façon. Un membre lui demanda ce qu’il avait senti en ce moment. « En ce moment, répondit-il, je recommandai mon ame à Dieu et ma cause à mon pays. — Nous n’avons plus besoin d’alliés pour nous mettre en état de nous faire justice ! s’écria Pulteney ; l’histoire de Jenkins nous lèvera une armée de volontaires. » C’était un homme bien éloquent que ce matelot, disait Mirabeau à la constituante, et il en concluait que le droit de paix et de guerre ne devait pas être laissé aux assemblées.

Le parlement d’Angleterre n’avait pas ce droit ; mais l’opinion du dehors pesait sur lui : il pesait avec elle sur ce ministère. L’opposition avait rallié ses bataillons divers sous le nom neutre et honoré de patriotes, et le patriotisme, ce transport d’écoliers, comme disait Walpole, réclamait à grands cris la guerre, qui parut bientôt inévitable. Le ministre n’était pas convaincu, il ne la trouvait ni juste ni politique ; mais, de ce thème d’opposition, on était parvenu à faire un vœu national : il crut qu’il fallait céder ou se retirer, et il préférait le pouvoir à ses convictions. Il avait fini, comme bien des ministres, par penser qu’avoir la majorité était le but et non le moyen. Par lui dirigée d’ailleurs, la guerre lui paraissait moins dangereuse ; elle serait moins