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qu’un homme d’état ait à la fois de grandes passions et une grande indifférence.

Mais, si Horace Walpole ne ressemblait nullement à son père, il le comprenait, il l’admirait, et le dévouement qu’il lui montra dans ces occasions critiques dut le rapprocher et le faire, pour ainsi dire, connaître de lui. Le vieux ministre avait trop de pénétration pour ne pas apprécier à sa manière le plus distingué ou plutôt le seul distingué de ses fils. Dans sa retraite, il aima à l’avoir auprès de lui ; il l’entretint des souvenirs de sa vie, qui n’ont pas tous été perdus pour l’histoire, grâce aux lettres et aux mémoires du jeune confident. Il l’obligeait à faire d’assez longs séjours à Houghton, dans le château qu’il avait bâti en Norfolk, et qui devint sa résidence de prédilection. La magnificence du lieu, la disposition d’une belle bibliothèque, la vue d’une précieuse collection de tableaux, ne dédommageaient pas toujours Horace de l’ennui attaché pour un bel esprit difficile et mondain à la vie de campagne de la vieille Angleterre. Lord Orford avait les anciennes mœurs ; c’était, dit lady Mary Wortley Montagu,

The gay companion and favourite guest. »

Il avait vécu dans les affaires, et non dans le monde ; il aimait les exercices en plein air, les longs repas, les conversations franches et joyeuses, et son esprit, plus vif que délicat, s’y plaisait aux accès d’une gaieté que son fils devait souvent trouver grossière. « Quand Walpole ne parle pas d’affaires, disait un de ses contemporains, il parle de femmes. La politique ou les gros mots, voilà son goût. »

Horace écrivait d’Houghton à M. Chute (20 août 1743) :

« J’ai chaque jour devant mes yeux de lamentables exemples des qualités stupéfiantes du bœuf, de l’ale et du vin….. Je m’imagine voir journellement des hommes qui sont des montagnes de roastbeef… Pourquoi pas ? Je jurerais que je n’aperçois aucune différence entre un country gentleman et un aloyau… Bien mieux, l’aloyau ne fait pas autant de questions. Oh ! mon cher monsieur, ne trouvez-vous pas que les neuf dixièmes de ce monde ne sont bons qu’à vous faire désirer d’être le dixième restant ? Je suis si loin de m’accoutumer à l’humaine espèce en vivant avec elle, que ma férocité naturelle et ma sauvagerie ne font qu’empirer chaque jour. Ils m’excèdent, ils me fatiguent ; je ne sais que faire d’eux, je ne sais que leur dire. J’ouvre à grand bruit les fenêtres et me figure que je manque d’air. Quand je puis me sauver, je me déshabille, et je crois avoir encore du monde dans mes poches, dans mes cheveux, sur mes épaules…. C’est, j’en ai peur, que je deviens vieux ; mais il me semble à la lettre avoir tué un homme qui s’appelait Ennui, car son spectre est toujours devant moi. On dit qu’il n’y a pas de mot anglais pour dire ennui. Je pense que vous pouvez le traduire le plus littéralement possible par ce qu’on appelle « entretenir le monde » ou « faire les honneurs. » Cela consiste à rester assis