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La Hollande a pris les devans ; dès le mois de juin 1850, elle démonétisait ses pièces de 10 florins ainsi que ses guillaumes. Le Portugal n’a suivi qu’à moitié cet exemple, en décidant que les monnaies d’or cesseraient d’avoir cours dans le royaume à l’exception des souverains anglais. La Belgique, qui, pour faire abonder le métal le plus précieux sur ses marchés, non-seulement avait donné cours à nos pièces de 20 et de 40 francs, mais avait encore frappé, en 1847, une monnaie de fantaisie et de mauvais aloi, s’est empressée de démonétiser les espèces d’or tant indigènes qu’étrangères. Par un ukase du 29 décembre 1850, la Russie, voulant maintenir l’équilibre, a prohibé l’exportation de l’argent. Le gouvernement français lui-même, touché de la nouveauté et de la soudaineté des circonstances, a nommé une commission « à l’effet, dit le ministre des finances dans l’arrêté du 14 décembre 1850, d’étudier les questions qui se rattachent à l’emploi simultané des deux métaux précieux, l’or et l’argent, comme monnaie légale dans la circulation. »

Des pouvoirs publics, la terreur a passé un moment aux intérêts privés, et la valeur des métaux précieux a éprouvé, sur le marché européen, une perturbation sensible. Dans l’espace de quelques mois, la prime de l’or a disparu pour faire place à une dépréciation qui n’était contenue que par le tarif légal. Du 1er juillet au 25 décembre 1850, le prix des souverains anglais a baissé à Paris d’environ 2 pour 100. À la bourse d’Amsterdam, la baisse de l’or atteignait, la même année, vers la fin de décembre, la proportion énorme de 4 pour 100. À la même époque, l’argent avait obtenu, sur le marché de Londres, une prime à peu près équivalente : de 4 shillings 11 deniers et demi l’once, le prix de l’argent s’était élevé à 3 shillings 1 denier cinq huitièmes. Le rapport de l’or à l’argent, que la loi de l’an XI a fixé chez nous à 15 onces et demi d’argent fin pour une once d’or sans alliage, et que la prime constante de l’or en Europe avait porté à 15 onces trois quarts, tarif de l’Espagne, descendait à 15 un quart en Hollande, en Belgique, à Hambourg, partout enfin où l’or cessait d’être monnaie pour devenir simplement marchandise : c’était presque le tarif de la Russie, contrée dans laquelle l’abondance de l’or et la rareté de l’argent ont fait fixer le rapport des deux métaux à 15 onces d’argent fin pour une once d’or.

Quelle que fût néanmoins la dépréciation pour le présent, on la voyait dans l’avenir bien autrement forte. Les sombres prédictions de la presse ajoutaient aux alarmes du public ; dans les journaux de toutes les couleurs et de tous les pays, on annonçait, comme un événement infaillible, que, sous l’influence combinée des extractions de la Californie et des lavages de la Russie, la valeur de l’or, avant peu, ne représenterait plus que neuf à dix fois celle de l’argent. Pendant que des nuées d’émigrans s’abattaient, au péril de leur vie, sur les Montagnes-Rocheuses,