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qu’un seul homme ivre sur les placers. La vente des liqueurs spiritueuses y était interdite, et le dimanche religieusement observé. On y reconnaissait encore quelques traces d’une industrie régulière. Les placers voisins du Port-Philip présentent un spectacle bien différent. Là, l’existence du mineur est une loterie où toutes les chances sont plus ou moins favorables. Il en résulte, pour les têtes les plus froides, un enivrement qui approche de la folie. Les passions les plus violentes et les plus extravagantes fantaisies se donnent carrière. La consommation du vin, de la bière et des spiritueux est énorme. Les tables de jeu, les querelles et les luttes à coup de poing pour de l’argent y disputent le dimanche au service divin. — La population des placers, écrit-on de Melbourne à la date du 2 janvier, roule sur l’or et en fait en quelque sorte litière. On cite un homme qui plaça un billet de banque de 5 livres (plus de 126 francs) entre deux tartines beurrées, et le dévora comme un sandwich ; un autre roula deux billets de 5 livres en forme de balle, et les avala comme une pilule ; un troisième, qui était entré dans la boutique d’un confiseur pour manger des tartes, jeta sur le comptoir un billet de 5 livres, et refusa d’en accepter la monnaie. Les mineurs semblent ne pas comprendre la valeur de l’argent : ils supportent leurs pertes avec une parfaite philosophie. Un homme à qui on avait dérobé une traite de 3,760 francs, et qui la trouva déjà encaissée quand il se présenta à la banque, se contenta de dire : « Bah ! l’argent ne manque pas. »

Un placer, dans la colonie de Victoria, figure aux yeux un immense campement, qui présente des milliers de tentes de toutes les dimensions, de toutes les couleurs et de toutes les formes. Ce bivouac, pendant la nuit, brille de feux innombrables, et le repos y est troublé par des décharges incessantes de pistolets et de fusils. Tout mineur est armé jusqu’aux dents et ne peut se reposer que sur lui seul du.soin de protéger son butin et sa vie. Chacun se garde dans le camp comme s’il était menacé d’une surprise, et l’on pousse les précautions jusqu’à décharger et recharger les armes chaque jour après six heures du soir. Le gouvernement transporte chaque semaine à Melbourne l’or récolté aux placers, moyennant un droit de \ pour 100 ; mais comme, malgré cette commission exorbitante, il ne répond pas des cas de force majeure, les mineurs se réunissent par groupes bien armés, quand ils sont fatigués de faire fortune, et escortent eux-mêmes leurs propres trésors. Les bandits de Van-Diemen fondent comme des oiseaux de proie sur les mineurs. Tel est leur nombre et si grande est leur audace, que la police locale recule devant eux et refuse souvent, en présence d’un meurtre coin mis, d’aller au milieu de la foule appréhender les meurtriers. Les autorités de Melbourne sont hors d’état d’envoyer des renforts, car les gens de la police urbaine, à l’exception