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sont à peu près terminées aujourd’hui. Toute la hiérarchie des pouvoirs locaux se trouve ainsi refondue et mise en harmonie avec les nouvelles institutions politiques. Dans l’ensemble de ce mouvement électoral, le résultat est très évidemment dans le sens du gouvernement, autant qu’on peut démêler l’exacte vérité parmi tant de causes particulières et personnelles qui expliquent d’ordinaire le succès des candidatures locales. Là où quelques-uns des hommes les plus marquans du régime actuel se sont présentés, il n’y a eu ni lutte ni incertitude. Là où l’administration a tenu bien décidément à faire passer un candidat, la difficulté n’a point été, à coup sûr, invincible : d’où serait venu un obstacle sérieux ? Il faut noter cependant quelques nominations qui tranchent avec le ton général des élections. Il n’est pas présumable que l’administration ait mis un prix particulier à faire élire deux fois M. Jules Favre comme conseiller-général à Saint-Étienne et à Lyon. M. Jules F’avre se trouve ainsi représenter la république de février, et il a certainement un fameux plaidoyer à faire pour sauver sa cliente. En cherchant bien, peut-être trouverait-on encore quelque nomination de ce genre ; mais, au-dessus de ces dissonances assez rares, il y a un symptôme plus remarquable, c’est l’indifférence générale qui se fait jour à travers une agitation superficielle où les autorités des départemens ont trouvé de quoi placer bon nombre d’avertissemens à la presse de province. Là est le fait saillant de ces élections. Beaucoup d’endroits n’ont pu réunir un nombre suffisant de votans, et il a fallu recommencer l’opération ; dans la plupart, les candidats ont à peine obtenu le chiffre légal de suffrages ; partout l’abstention s’est produite dans des proportions inaccoutumées. Et qu’on le remarque cependant, il s’agissait ici, pour les populations, du choix d’hommes qui leur sont connus, qui vivent au milieu d’elles, et de la gestion de leurs intérêts les plus proches. Que peut-on conclure de cette indifférence universelle ? La meilleure explication, la plus vraie à notre avis, c’est la lassitude. On ne réduit pas impunément des populations, pendant trois ou quatre années, à s’en aller périodiquement mettre dans un scrutin leur fortune, leur travail, leur industrie, la paix de leurs foyers. À ce régime d’excitations et de qui vive perpétuel, elles peuvent finir, de guerre lasse, par retourner contre elles-mêmes l’arme qu’on a mise en leurs mains, ou, dès qu’elles se retrouvent sous l’empire d’un gouvernement vigoureux, elles semblent ne plus attacher de prix à un droit qu’on leur a fait payer si cher. Nous professons tout le respect nécessaire pour le suffrage universel, d’abord parce que c’est la loi du pays, et ensuite parce qu’il est des momens d’incertitude générale où il ne reste plus d’autre moyen que de faire jaillir du sein du pays une nouvelle force, une nouvelle puissance ; mais les populations elles-mêmes ne disent-elles point aujourd’hui, par leur absence du scrutin, qu’à leurs yeux il est bien différent de participer à un acte exceptionnel de ce genre ou de voter à tout propos et sur toute chose ? On se méprendrait d’ailleurs singulièrement sur notre pensée, si on y voyait rien qui put mettre en doute l’utilité de l’élection appliquée à l’administration des intérêts locaux. Là, au contraire, à notre sens, est une des plus sérieuses garanties de la vie politique contemporaine, et là, pourrait-on dire, est l’avenir à beaucoup d’égards. Ce que nous voulons montrer seulement, c’est l’étrange progrès que les révolutions font faire à ces idées de