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de la baie. Les Américains prétendent que la distance doit être mesurée en tirant une ligne du sommet de la baie, c’est-à-dire du point le plus intérieur. Évidemment l’interprétation est subtile, et la convention leur interdit bien formellement l’entrée des havres et baies. Toutefois ce qui complique la question, c’est que M. Webster a fait publier une dépêche de M. Everett, ex-ministre à Londres, datée de 1845, et annonçant qu’après diverses conférences avec lord Aberdeen il avait obtenu pour les pêcheurs américains le droit de pécher dans la baie de Fundy, justement la baie où a été saisi le bateau the Coral par ordre du gouvernement anglais.

Voilà quel est jusqu’à présent l’état de la question. Bien que des deux côtés on menace, bien qu’on envoie des navires à vapeur de guerre, les choses en resteront là très probablement. Les belliqueux Américains n’en ont pas moins pris prétexte de cette querelle pour se livrer à toute leur intempérance de patriotisme. M. Mason, M. Seward, M. Cass, ont demandé qu’on envoyât immédiatement toutes les forces navales de l’Union sur les côtes de l’Amérique anglaise pour répondre à l’insolente agression de l’Angleterre. M. Daniel Webster, qui croit trouver dans ce débat un moyen de déterminer les whigs à faire un nouveau choix pour la présidence, se donne beaucoup de mouvement, écrit, parle, voyage, interprète les traités et se fait décerner des ovations. Dans un discours prononcé à Marshfield, il a déclaré que les États-Unis ne laisseraient pas saisir leurs vaisseaux et ne permettraient pas que de petits misérables tribunaux de province, au Canada ou à la Nouvelle-Ecosse, vinssent statuer sur les droits et les privilèges garantis par les traités aux citoyens de l’Union. « Soyez certains, messieurs, s’est-il écrié en terminant, qu’on ne dort pas à Washington. » Ne dirait-on pas que la patrie est en danger, et qu’il s’agit de secouer une seconde fois le joug de la métropole ? Tout se terminera sans doute par des concessions réciproques, et, au lieu d’envoyer la marine américaine sur les côtes de Terre-Neuve et du Labrador, on y dépêchera un simple vaisseau à vapeur commandé par le commodore Perry et chargé de veiller sur les intérêts des nationaux.

Si cette affaire s’apaisait trop tôt, ce ne serait point le compte de M. Daniel Webster, qui, soit dit sans reproche, se sert de ce moyen pour rappeler à lui les voix de son parti. Qu’elle dure seulement un mois, le temps nécessaire pour que le parti whig ait pris une détermination, — et ensuite elle s’arrangera facilement. Pendant ce temps, la convention whig de Philadelphie aura délibéré, les whigs du sud auront porté leurs voix sur M. Webster. Il s’en faut bien en effet que les débats sur la présidence aient été terminés avec l’élection préparatoire des deux candidats. Les whigs du sud ont déclaré qu’ils ne se résigneraient jamais à porter le général Scott, et leurs représentans au congrès ont lancé une protestation contre cette candidature malheureuse. Des lettres du général Scott ont été publiées, les accusations de free soilisme et d’abolitionisme se sont multipliées, et, il faut le dire, le candidat si vivement attaqué ne fait rien pour se laver de ces reproches. Ce n’est pas que l’élection du général, si elle était possible, causât beaucoup de dommage au compromis, et pût réellement mettre l’Union en danger ; mais, à coup sûr, elle redonnerait du courage à toutes les passions aujourd’hui amorties, elle mettrait des