Europe le nombre des Aaron Burr est beaucoup plus grand que celui des Franklin ?
CH. DE MAZADE.
PUBLICATIONS RECENTES EN FRANCE, EN RUSSIE ET EN ALLEMAGNE.
Lorsque les arts sont dans leur période d’ascension et de conquête, les livres de théorie et de pure doctrine sont aussi rares que parfaitement inutiles. Quand on crée des chefs-d’œuvre, on n’a guère le temps de faire des commentaires, et la tradition supplée alors au besoin de connaître certains procédés qui servent à caractériser la manière des maîtres. D’ailleurs, cette curiosité d’esprit, qui s’exerce à l’analyse des formes matérielles de la pensée, ne se produit que fort tard dans l’histoire, alors que l’inspiration semble avoir parcouru le cercle de ses incantations, et, comme on l’a dit bien souvent, les époques critiques viennent après les siècles d’or, dont elles expliquent les merveilles. C’est ainsi que l’école d’Alexandrie, si féconde en philosophes, en grammairiens et en érudits ingénieux, ne s’est élevée qu’au déclin de la civilisation grecque, dont elle a été le dernier fruit et comme le résumé. Pendant que les grands artistes de la renaissance couvraient l’Italie de chefs-d’œuvre immortels, on n’avait ni le temps, ni le goût de discuter sur la propriété des styles, sur l’origine et la démarcation des différentes écoles qui se partageaient le vaste empire de l’imagination. Ce sont les Carrache qui, après l’épuisement de l’inspiration première, ont commencé l’ère critique où l’esprit de système a pris la place de l’enthousiasme créateur. La musique a éprouvé exactement le même sort, et, après les cinquante années qui viennent de s’écouler et qui forment certainement une des périodes les plus fécondes et les plus brillantes de l’histoire de l’art, nous voici parvenus, je le crains bien, à l’âge où les discussions, les commentaires et les travaux d’érudition semblent devoir absorber l’activité des esprits et nous consoler, si cela est possible, de l’affaiblissement des plus nobles facultés. Quoi qu’il en soit de l’avenir, prenons bravement notre mal en patience en nous occupant de quelques livres plus ou moins intéressans qui viennent d’être publiés sur l’art musical.
Il y a une chose dont M. Liszt n’a jamais pu se consoler : c’est d’être l’un des premiers virtuoses sur le piano qui aient existé et d’avoir acquis une réputation européenne comme interprète inspiré de la grande musique des maîtres. La peine qu’il s’est donnée pour faire oublier ses vrais titres de gloire en visant à une renommée de compositeur qu’on lui a toujours contestée, en cherchant à jouer le rôle d’un nouveau Pic de la Mirandole qui parle sur tout et dans toutes les langues, est inimaginable. Je me rappelle le temps où M. Liszt, à la suite de M. de Lamennais et de Mme Sand, écrivait dans un journal humanitaire des articles de critique tout bariolés de citations empruntées aux différentes langues de l’Europe, et dans lesquels la langue française était certainement la plus maltraitée. Il n’y a que le grec et le latin auxquels M. Liszt