dire éclairé par le spectacle de la civilisation française. Les guerres de 1812 et de 1814 exercèrent sur la littérature russe une influence qu’il n’est pas permis de méconnaître. À partir de 1844, on fit servir plus résolument l’étude des lettres étrangères à l’expression de la pensée nationale. Les uns traduisaient des ouvrages français, les autres se contentaient de les imiter ; tous s’efforçaient de s’approprier les qualités qu’ils y avaient remarquées, tout en se déclarant les adversaires de l’imitation française.
Parmi les écrivains qui figurent en première ligne dans le groupe dominé par Karamsine, Mouravieff se présente d’abord. Il était précepteur des grands-ducs Alexandre et Constantin. Sobre et austère écrivain, il n’écrivit que pour instruire ses augustes élèves. Ses Dialogues des morts et ses Lettres de l’habitant des faubourgs attestent la solidité de ses études classiques, l’élévation de sa pensée et la pureté de sa morale. Un autre auxiliaire de Karamsine fut Ozéroff, qui réforma la tragédie. Les œuvres de ses deux prédécesseurs, Soumarokoff et Kniajnine, sont considérées à juste titre par un critique compétent, le prince Wiasemsky, comme des imitations mortes de notre tragédie classique : les pièces d’Ozéroff laissent voir un esprit plus indépendant. Ce poète était animé d’un souffle puissant, et si son style ne satisfait pas entièrement la critique russe, si on le trouve parfois embarrassé et obscur, si on lui reproche de passer à côté du mot propre et d’avoir trop de la rudesse de la langue de Kniajnine, on est forcé de convenir que, dans les endroits où Ozéroff a secoué toute réminiscence, tout penchant à l’imitation, sa muse devient originale et forte. La sensibilité et l’émotion s’épanchent à flots de son ame, et ses tableaux font revivre avec bonheur les souvenirs de la patrie. Dans son Dmitri Donskoï par exemple, le Russe voit avec enthousiasme l’évocation d’une des plus héroïques époques de son histoire, où la Russie, l’étendard du Christ en tête, livra une bataille de géans aux hordes mongoles et les vainquit. Ozéroff réunissait à un degré éminent les deux actions simultanées qui tendaient à concilier l’étude des modèles classiques de la Grèce, de l’Italie ou de la France du XVIIe siècle, avec les libres inspirations du cœur et celles de la muse nationale. Ses efforts toutefois comme ceux de quelques esprits de sa trempe, ont été impuissans à constituer un théâtre russe. « L’art dramatique est encore, parmi nous dans son enfance, » disait le prince Wiasemsky en 1823 ; Or, depuis cette année, quelques pièces spirituelles, dont il a été parlé ici même, n’ont pu que confirmer l’opinion du prince ; deux ou trois chefs-d’œuvre se sont produits sur la scène russe, et y figurent encore isolés.
Après Mouravieff et Ozéroff, il faut citer Dmitrieff, qui peut être considéré comme le Karamsine de la poésie ; il assouplit le vers comme Karamsine avait assoupli la prose ; il le rendit facile, alerte ; il lui donna du trait ; aussi ses principales compositions appartiennent-elles au genre léger : ce sont des contes, des fables, des chansons. Les critiques russes trouvent dans ces productions quelque chose de l’exquise finesse, de la grâce spirituelle des poésies légères de Voltaire. Dmitrieff tient une place importante parmi les écrivains de cette époque, sur le goût desquels il eut une influence très marquée. Il avait d’ailleurs travaillé avec Karamsine au Courrier d’Europe, comme Joukowsky, leur ami commun.
Tandis que Dmitrieff s’inspirait de Voltaire, Joukowsky imitait Schiller et Byron. Il fut ainsi le premier qui représenta dans son pays ce qu’on a long-temps